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Pourquoi ce culte des chiffres ?

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Vous avez tous remarqué qu’en ces temps où le terrorisme occupe le devant de la scène médiatique, on nous parle toujours autant de chiffres, de courbes et de pourcentages. Que ce soient les politiciens, les gouvernants, les “experts”, les grands et petits bachi-bouzouks des médias, ils n’ont que ça dans la bouche. La courbe du chômage augmente de x pour cent, il faut alléger la dette de x milliards qui ne cesse de s’alourdir, il manque x milliards au budget de l’État il faut redresser les comptes, les comptes des caisses de retraites et de la sécurité sociale sont déficitaires de x milliards, le coût du travail en France est trop élevé, les comptes de la ville de Bourges sont mauvais et la ville risque la mise sous tutelle, refaire la maison de la Culture sur le site historique serait plus coûteux que la construire ailleurs… La liste pourrait s’allonger à l’infini.

On connaît la propension des patrons et des politiciens à nous asséner des chiffres invérifiables assortis de : “inclinez vous, les chiffres ne mentent pas” ! (Comme si les chiffres pouvaient parler et donc penser…). Ce vieux truc éculé est recyclé et ressassé par les “experts” habitués des plateaux télé et par les médias. Et même si c’est ringard et tout moisi, le vieux machin sert encore.

Pour David Graeber (dans son livre “Bureaucratie”), les esprits originaux ont cédé la place à des bataillons de cols blancs, marketeurs, agents divers chargés de faire baisser les coûts de production. On constate un “pivotement stratégique des hautes sphères” au début des années 70 : c’est la financiarisation de l’entreprise, écrit-il. “La classe des investisseurs et celle des cadres de direction des entreprises sont devenues pratiquement indistinguables. Ne sont promus et valorisés que ceux qui aident à remplir directement les poches des investisseurs au risque de bloquer l’innovation. Ce n’est pas seulement un réalignement politique, c’est une mutation culturelle”. (Marianne du 30 octobre 2015, p 88).

Dans notre système d’enseignement, l’étude des mathématiques est la base d’évaluation “objective” et de sélection des élèves. Cette matière est devenue principale. Or, elle n’est pas plus “principale” que le français, l’histoire, le latin, la géographie… Derrière l’instrumentalisation des mathématiques, il y a les chiffres, la concurrence, la rentabilité. L’évaluation par la prépondérance des mathématiques, instaure la hiérarchisation. Autrement dit le maintien de l’ordre et, disons le, d’un certain ordre - celui de l’obéissance à la “pensée” du chiffre qui est devenue pensée dominante.

Équilibrer les comptes, c’est bien le minimum qu’on est en droit d’attendre de ceux qui gèrent ou qui gouvernent. Mais compter, donner la priorité au chiffre d’affaires, au budget ou au bilan, n’est pas un projet politique, encore moins moral ou philosophique. Au contraire, on dirait que nous sommes régis par une logique comptable appauvrissante. C’est le culte des chiffres (jamais prouvés), le règne de la pensée de la calculette, l’arrogance des élites sans ambitions, le degré zéro de la vision politique.

En réalité, ce qui pourrait sembler de l’immobilisme est au contraire une politique active, comme en témoigne la perpétuelle agitation des gouvernants de droite et de gauche pour faire de prétendues “réformes”. Des “réformes” toujours justifiées par des chiffres tirés du chapeau.

Le culte des chiffres, est-il devenu une dictature des chiffres ?


 Le culte des chiffres. Problèmes économiques. N°3090 - 21 mai 2014. La documentation française. >>> Lien.
David Graeber, l’indigné qui s’attaque à la bureaucratie libérale. Politis.
>>> Lien.  
“Bureaucratie”. David Graeber. Les liens qui libèrent. 295 pages. 22 euros.