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Éric Woerth et Christine Lagarde, héros du feuilleton de l'été !


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Après la révélation de son éventuelle implication dans les affaires fiscales de Liliane Bettencourt, le ministre Éric Woerth contestait ces accusations en mars 2009 par ces mots définitifs et très convaincants : "est-ce que j'ai une tête à couvrir la fraude fiscale ?"

"Est-ce que j'ai une tête à vendre une propriété de l'État en dessous de sa valeur ?" pourrait-il dire aux juges aujourd'hui, ce qui les convaincra certainement. L’hippodrome de Compiègne (57 hectares) et son manoir, ont été vendus 2,5 millions d’euros à la société des courses de Compiègne. Des documents publiés par Le canard enchaîné révèlent qu’Éric Woerth, (qui était Ministre du budget au moment de la vente), avait été alerté par les services de l’État qui jugeaient le montant de la transaction trop faible. Mais le ministre Woerth n'avait pas voulu suivre les conseils de Gérard Gamblin, directeur technique et commercial de l’Office national des forêts (ONF), qui estimait l'offre de l’acheteur (un million et demi d’euros) "au moins dix fois" inférieure à la valeur réelle. De même, il n'avait tenu aucun compte de la note de Philippe Dumas (président de la Commission pour la transparence des opérations immobilières de l’Etat), qui écrivait le 16 mars 2010 : "le prix convenu (…) est assez faible". Et l’idée d’un appel d’offre proposée par Philippe Parini (Directeur général des finances publiques),en septembre 2009 n'avait pas eu plus de succès. Ce qui donne raison à Pierre Dac pour qui "dans le domaine judiciaire, si les prévenus l'étaient à temps, le banc des accusés serait souvent vide".

Éric Woerth est donc entendu en qualité de témoin dans la procédure conduite par la Cour de Justice de la République, pour "prise illégale d’intérêt". L’ancien ministre se défend du soupçon de malversation, en affirmant que la vente a été approuvée par les services du Premier ministre lors d’une réunion informelle réunissant plusieurs ministres.

Mais son affaire ne s'arrange pas. Éric Woerth a eu l'imprudence d'annoncer en juillet 2011 qu'il allait déposer plainte contre Le canard enchaîné. Le 3 août, Le canard enchaîné se défend en produisant de nouveaux documents accablants pour Éric Woerth, et annonce que en cas de procès il fera citer messieurs Gérard Gamblin, Philippe Parini et Philippe Dumas. Accablant en effet. 

Interrogé par un correspondant exclusif, Éric Woerth vient de déclarer à gilblog "est-ce que j'ai une tête d'homme accablé ?". On respire.

Christine Lagarde et l'affaire Tapie.

"Est-ce que vous croyez que j'ai une tête à être copine avec Bernard Tapie ?" "Est-ce que vous pensez que j'ai reçu des instructions pour le protéger ?" déclarait Christine Lagarde en 2008, dans ce style inimitable BCBG Neuilly-Auteuil-Passy que les français adorent. Est-ce que vous croyez que j'ai une tête à..., on dirait que les ministres des finances en se transmettant les dossiers, les accompagnent de cette formule qui leur porte la poisse....

Résumons. L'affaire Tapie Crédit Lyonnais Adidas qui avait commencé en 1993 et durait depuis des années, trouvait enfin une conclusion en 2008 sous le regard soupçonneux de l'opinion publique (oui, l'opinion publique a parfois l'oeil soupçonneux). Mais c'était trop beau, ça ne pouvait pas être si simple. Voila qu'il est reproché à Christine Lagarde d'avoir renoncé en 2007 à la voie judiciaire dans le litige concernant la revente d'Adidas (en 1993), au profit d'une procédure d'arbitrage (procédure très rare en France), quand elle était Ministre des finances. Il lui est aussi reproché d'avoir renoncé à contester l'arbitrage attribuant 285 millions d'euros (dont 45 millions pour réparer un "préjudice moral") à Bernard Tapie en 2008. Le jeudi 4 août, à la demande du Procureur général de la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, la Cour de justice de la République (CJR)* vise Christine Lagarde par une enquête ouverte pour "complicité de faux" et "complicité de détournement de fonds publics". Ces accusations pourraient valoir à l'intéressée 10 ans de prison et 150 000 euros d'amende. Dans cette affaire dirait encore Pierre Dac, "si la fortune vient en dormant, ça n'empêche pas les emmerdements de venir au réveil".

Corinne Lepage, députée européenne (mais aussi avocat) pense que la Cour des comptes pourrait aussi ouvrir une procédure pour Christine Lagarde devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Cette procédure s'ajouterait à une autre qui menace deux ex-collaborateurs de Christine Lagarde, qui sont Jean-François Rocchi et Bernard Scemama **, dans la même affaire. Bien qu'un ministre ne peut être traduit devant la Cour de discipline budgétaire et financière, une exception existe : quand un ministre est jugé "comptable de fait". Le fait que la procédure soit ouverte sur le chef de “détournement de fonds publics” rend incontournable, selon Corinne Lepage, cette intervention de la Cour des comptes sur Christine Lagarde en tant que "comptable de fait". "Nous sommes dans du pénal classique et lourd. Quand un ministre donne des instructions illicites engageant les deniers de l'Etat, il est comptable de fait, doit rendre des comptes et peut éventuellement devoir payer la différence, s'il y en a une", précise Corinne Lepage. Eh oui, car "l'impondérable est ce qui vous pend au bout du nez", selon la formule d'Achille Chavée.

On comprend mal comment Christine Lagarde, qui déclarait ne pas connaître Tapie et n'a pour lui guère d'estime, s'est embarquée dans cette galère. De mauvaises langues, et même des journalistes, disent que c'était pour obéir à Sarkozy (?). Oh !

L'ex ministre des finances a-t-elle lu l'article seize du code du FMI qui exige de ses dirigeants un "comportement éthique, intégrité, impartialité et discrétion" ? Sans attendre le résultat de l'instruction en France et toujours en vertu de la présomption d'innocence, on peut dire que pour Christine Lagarde la discrétion c'est fichu.


> Sources : Le canard enchaîné. Sur Google il y en a des pages et des pages, et aussi Slate, Le post, AgoraVox, Mediapart, Rue89.....

* La Cour de justice de la République (CJR) a été créée en 1993 pour juger les crimes et délits que pourraient commettre des ministres dans l'exercice de leurs fonctions.

** Bernard Scemama déclarait au quotidien "Le monde" le 5 août 2011 : "J'ai été reçu dès ma nomination par Stéphane Richard, le directeur du cabinet de la ministre des finances, Christine Lagarde. Il m'a tout de suite parlé du dossier Tapie et m'a donné une consigne claire : il fallait aller à l'arbitrage. C'est la décision du gouvernement, m'a-t-il dit. Il m'a expliqué que cela faisait des années que cette affaire traînait, et qu'il fallait en finir".