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Bradley Manning, "espion terroriste" ou héros américain ?

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Bradley Manning est un jeune soldat américain de vingt-cinq ans engagé au service actif en 2007. Il est jugé pour avoir transmis à Wikileaks des documents ultra secrets de l'armée états-unienne. A-t-il eu raison ou tort ? Est-il un traître ou un héros ? C'est la question qui devra être résolue lors du procès de ce jeune homme  qui a débuté lundi 3 juin. 

En Irak où il était basé, Bradley Manning était analyste du renseignement dans une brigade de combat de la dixième division de montagne de l’armée US. Il a transmis à Wikileaks en 2010 une video montrant des civils irakiens victimes de tirs de l'armée américaine (un journaliste et un enfant y ont trouvé la mort), ces images ont été diffusées par les télévisions du monde entier. L’armée américaine ayant donné de fausses informations sur ces faits, la vidéo diffusée par WikiLeaks avait fait sensation, contredisant la version du département de la Défense américain. Manning a également téléchargé sept-cent mille documents ultra secrets et les a transmis au site Internet Wikileaks, qui les a rendus publics.

Pourquoi a-t-il fait cela ? Bradley Manning a expliqué que sa conscience lui avait dicté de dénoncer les crimes et les abus commis par l'armée américaine en Irak et en Afghanistan. Il a déclaré qu'il avait agi par patriotisme, pour créer un choc salutaire en révélant aux citoyens de son pays et au monde les actes répréhensibles de l'armée américaine.

> Le rapporteur de l'ONU sur la torture avait qualifiées de "cruelles, inhumaines et dégradantes"  les conditions d'emprisonnement de Manning, en cellule pendant trois ans et victime d'un régime extrêmement sévère : plus de dix mois en cellule d’isolement  maximal comparable à une situation de torture psychologique. Celui qu'on a surnommé "la taupe de Wikileaks" connaîtra son sort cet été. Le gouvernement américain l'accuse de "collusion avec l'ennemi" (c'est à dire l'organisation terroriste Al-Qaïda !), et d'avoir "sciemment" mis la sécurité de son pays en danger. Bradley Manning a été inculpé en juillet 2010 pour huit motifs d'inculpation criminels et quatre violations du règlement militaire. Notamment "transfert de données secrètes sur son ordinateur personnel et ajout de logiciel non autorisé sur un système informatique confidentiel" et "communication, transmission et envoi d'information traitant de sécurité nationale à une source non autorisée". Le procès en cours martiale durera probablement jusqu'à la fin août et pourrait se clore avec une sentence de réclusion criminelle à perpétuité.

La juge militaire Denise Lind a prévenu qu'elle interdirait que les plaidoiries abordent la politique étrangère américaine. Elle a annoncé que vingt-quatre témoins, dont des ambassadeurs, des responsables du Pentagone et du renseignement, s'exprimeraient à huis-clos ! Parmi eux, un membre du commando ayant participé au raid contre  Oussama Ben Laden au Pakistan, qui devrait témoigner que les informations dévoilées par Manning étaient parvenues entre les mains de Ben Laden. Pas étonnant, elles étaient publiques !

S'efforçant de limiter  l'information du public , l’armée américaine refuse de diffuser les retranscriptions des audiences, l’association Freedom of the press a lancé une souscription sur internet pour financer la venue d’un sténographe au procès. "En quelques jours , écrit Arrêt sur images, le premier objectif est quasiment atteint et le sténographe a pu commencer son travail dans la salle réservée aux médias. Il met en ligne son travail au fur et à mesure".

On peut penser que que Bradley Manning n’aura pas un procès équitable, puisque le chef de l’État lui même, Barack Obama a déclaré que Manning est coupable ; c'était il y a un peu plus d’un an, donc avant que le jugement soit prononcé !

> Dans la déposition, qu'il a écrite alors qu’il était détenu en isolement complet, Bradley Manning a expliqué qu’il en était venu à être "dégoûté" par l’attitude de l’armée américaine dans les guerres d’Irak et d’Afghanistan. “Je pensais que si le grand public, et notamment les citoyens des Etats-Unis, avait accès à ces informations… cela pouvait lancer un débat national sur le rôle de l’armée et sur notre politique étrangère en général, ainsi que sur les guerres en Irak et en Afghanistan. Je croyais aussi que l’analyse détaillée des données sur le long terme réalisée par différents secteurs de la société pouvait permettre à celle-ci de réévaluer le besoin, voire l’envie, de s’engager dans des opérations de lutte contre le terrorisme ou contre l’insurrection en ignorant les dynamiques complexes de la population vivant au quotidien dans les régions concernées. 

Avant que les informations ne soient publiées par Wikileaks, je me suis senti soulagé qu’elles soient en leur possession. J’avais le sentiment d’avoir accompli quelque chose qui me permettait d“avoir la conscience tranquille, en fonction de ce que j’avais vu et lu et que je savais qui se produisait quotidiennement en Irak et en Afghanistan.”

> L'armée et le gouvernement l'accusent d'être un criminel, mais ses soutiens le dépeignent comme un “lanceur d’alerte” et un garant de la démocratie. La Fondation pour la liberté de la presse voit en lui "celui qui a dénoncé le plus d'informations de sa génération", cette ONG l'a proposé au Prix Nobel de la paix. Pour Philip Crowley, ancien porte-paroles de Bill Clinton au département d'État américain, le traitement que le Pentagone réserve à Bradley Manning est "ridicule, improductif, et stupide".

Julian Assange, toujours réfugié à l'ambassade d'Equateur à Londres, a dénoncé un "procès-spectacle". "Ce n'est pas de la justice. Cela ne peut en aucun cas être de la justice. Le verdict a été rendu il y a longtemps", a-t-il estimé sur le site de Wikileaks. "Lorsque le fait de communiquer avec la presse revient à aider l'ennemi, c'est l'information des peuples qui devient criminelle".

Un Comité de soutien a été créé, pour récolter des fonds et payer les frais d'avocat (environ cent trente mille dollars) de Bradley Manning. Plusieurs personnalités états-uniennes font partie de ce comité. Notamment Daniel Ellsberg (lanceur d'alerte américain qui a livré pendant la guerre du Viêt Nam les Papiers du Pentagone), le cinéaste et polémiste Michael Moore, Ray McGovern (un ancien agent de la CIA), Mary Ann Wright (colonel à la retraite). Wikileaks a également contribué au comité de soutien. En France, le premier prix au concours international 2013 de plaidoiries pour les droits de l'Homme a été remporté par un jeune avocat lillois pour sa plaidoirie "Bradley Manning : un soldat de la vérité".

> Dans une tribune publiée par le New York Times en mars 2013, deux juristes états-uniens s’inquiètent de l’attitude des autorités qui signifie “la mort des lanceurs d’alerte”. “Si ces poursuites aboutissent, elles établiront un précédent effrayant : les fuites touchant à la sécurité nationale feront courir à leurs auteurs le risque de la peine capitale ou au moins de la prison à vie. Toute personne ayant à cœur la liberté de la presse devrait trembler face à la menace que cette thèse fait peser sur les journalistes, leurs sources, et pour le public qui dépend d’eux.”


> DocumentMalgré l'interdiction, des activistes américains solidaires de Bradley Manning, ont enregistré et publié sa déposition (en anglais). Déclaration de Bradley Manning devant la commission d'enquête.  >>> Lien 

09/11 blog. Texte en français de la déclaration de Bradley Manning devant la commission d'enquête.  >>> Lien.


> Sources. 

Les enjeux du procès de Bradley Manning. The Guardian (en français dans "Le grand soir"). >>> Lien.

Rue 89. Bradley Manning s'explique.  >>> Lien.

Wikipedia. Bradley Manning. >>> Lien.

WikiLeaks. Actu. En français.  >>> Lien.