Étienne Guillaume : "Grand feu" à La Borne.


Etienne-Guillaume-Grandfeu


Cliquez sur l'image pour l'afficher en grand, puis cliquez sur les flèches pour l'afficher en plein écran.  Le "Grand feu" La Borne - Gouache d'Étienne Guillaume. Format 100x150 - Mars 1956. "Coupe d'un grand bâtiment de trente mètres par huit mètres environ. Il abrite un four qui, en pente douce monte jusqu'à sa cheminée camuse, à la gauche de l'image" [E Guillaume]. 


Cette peinture à la gouache de grand format (pensez, un mètre par un mètre cinquante !), illustre et recrée la forte impression ressentie par Étienne Guillaume à l'âge de dix-sept ans devant le spectacle d'une cuisson dans le four Talbot, aux "grandes boutiques" à La Borne en 1947. "Un grand format, dit-il, à la dimension de l'événement et de mon émotion, et aussi à la hauteur de l'importance de La Borne à mes yeux". Une impression profondément gravée, et pour longtemps, dans sa mémoire puisque l'auteur en a fait cette peinture dix années plus tard, et ce texte encore plus longtemps après. Le panneau a orné des années durant le bureau d'Étienne, dans la maison de la rue des Arènes. 

Ce texte inédit et cette image d'Étienne Guillaume tombent à pic pour célébrer les journées du Patrimoine à La Borne.

"Vers 1947 j'ai eu cette chance d'être là, sur place, à La Borne pour voir le grand feu, ce moment où se joue, à plus de 1200° la cuisson du grès. Alors, par la courte cheminée, les flammes vont dévorer le ciel . Au vrai,  peu de précisions me restent ; J'ai perdu un premier texte écrit, mais des détails en mémoire font corps ici, avec ce que je garde de mes nombreux passages dans le village depuis l'enfance.

........ On  entre par la haute porte cochère qui ouvre sur le terre plein des Grandes Boutiques pour accéder au four. La gueule du foyer est à droite, dans la grange où se joue la scène du grand feu. On voit  par une ouverture de deux mètres de large, les alandiers de brique au ras du sol et, entre eux on distingue les trous-évents, par lesquels la braise tombe dans la fosse, qui est le cendrier. Et puis, au fond on a la murette qui dirige, et véritablement arrache l'air chaud vers la voûte, vers la cuisson, vers la cheminée à l'autre bout du four. Devant cette ouverture, une simple plaque de tôle est fichée au mur par un ringard de fer; une chaîne permet, à distance de lever cette tôle pour charger les landiers.

Ces choses sont importantes à dire car le feu dans le foyer est en train de monter et dans quelques heures, il sera si fort qu'on devra s'en tenir écarté. Déjà, dans la halle la chaleur est insoutenable.pour ceux qui travaillent. Ils sont emmitouflés, les mains gantées de toiles de bâche, et se protègent par des épaisseurs de sacs de jute.

Un des potiers, bondit du dehors, un grand fagot sur l'épaule droite. Pile, à la seconde,   la tôle est relevée par son compagnon, tapi à l'opposé de l'entrée. D'un coup de reins le porteur balance son fardeau dans la gueule du foyer, et aussitôt s'écarte des flammes qui débordent... Déjà il déguerpit vers la porte cochère, vers l'air libre.

Les potiers qui se relaient à la tâche doivent être Armand  Bedu, ou l'un des Talbot, Joseph ou son garçon, ou Bernon ? Celui qui surveille la tôle fichée au mur, pourrait bien être Pérat, dit 'petit rat', maigriot, plutôt petit, qui s'acquitte si bien de toutes les tâches ingrates.

Du plus loin possible, plaqués au mur de gauche nous voyons  dans la fournaise, des flammes blanches hargneuses dévorer les bourrées et la charbonnette dans les secondes où le Pérat relève la fermeture. Après, sortent de derrière la lourde tôle retombée, des langues de feu rouges, oranges, jaunes qui débordent de toutes parts  avant de bleuir et de s'éteindre comme à regret.

Le grondement des flammes et le tirage emplissent la halle. Je repense au voyage de la terre à la lune. Seule la chaleur folle du grand feu qui s'annonce, nous ramène  à la réalité. Des courants d'air énormes soulèvent les brassées d'air, humides et froides venues de la porte cochère, tandis que le ronflement du four renvoie des bouffées brûlantes  qui font cligner des yeux et vous font détourner la tête.

Nous essayons de savoir à chaque minute, de saisir ce qui va se passer. C'est un ballet incessant. Les potiers vont et viennent sans arrêt pour charger de branches et de bourrées énormes le brasier insatiable. Ils s'acharnent et courent comme  des pompiers  de l'enfer. Pour faire passer les braises dans la fosse avec des pelles, il faut  empêcher les très longs manches,de brûler : on les mouille. Personne ne parle. Rien que des signes. Le bruit du four gronde. Le sol de la grange est comme couvert de farine - un mélange de sablon, de cendres, de braises et de déchets des abattis. Vers le haut, les charpentes noires  rougeoient et dansent, devant l'écran des tuiles .

Et puis, mon souvenir s'évanouit. Minuit est passé. Le feu n'est pas encore à son plus haut, quand nous  repartons dans la nuit. Je ne sais plus si nous avons vu les montres dans les alvéoles extérieures du four, avec leurs bâtonnets pointus de porcelaine: ces minuscules sentinelles vont s'incliner pour dire aux potiers à quelle température on est parvenu. Nous n'avons pas vécu le passage à  la prestigieuse montre 1300°; il me semble que le jour suivant, je suis revenu - avec mon père probablement - et que le sol, les murs, l'air à l'entour étaient encore brûlants.

Par endroits, des fumerolles montaient du sol piétiné de la grange, là où des braises achevaient de s'éteindre...."

Étienne Guillaume. Bourges, 30 Mai 2013.


> Voir le programme des journées du Patrimoine 2013 à La Borne. >>> Lien.

> Lire dans gilblog d'autres témoignages d'Étienne Guillaume :

Étienne Guillaume se souvient de Jean Lerat. >>> Lien.

La maison Guillaume. >>> Lien.

Avec François et Étienne Guillaume chez Armand Bedu. >>> Lien.

> En page d'accueil, photo d'Étienne Guillaume devant un dessin d'André Rozay (montage).


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