En 1902, Émile Guillaume achète rue de Paradis à Bourges (aujourd'hui rue Édouard Branly), la boutique de miroiterie de la famille Garban. Il la transforme en magasin de porcelaine et verrerie, et en 1903, il transfère l'activité, la marchandise et le mobilier dans un nouveau local situé 23 rue des Arènes. Son fils François lui succède en 1925 et donne un nouvel essor à la maison Guillaume.
Dans son plus ancien souvenir du commerce familial, Étienne Guillaume (le fils de François), se revoit à l'âge de cinq ans en 1935, jouant dans une pièce du 23 rue des Arènes, parmi des meubles aux innombrables tiroirs. C'est dans cette salle (dont le mobilier avait été fabriqué par un menuisier berruyer du nom de Lemesle) qu'avaient lieu les expositions, de 1927 à 1985 : Arts de la table, Poteries de La Borne, Vases, L'art au foyer, Rétrospective de La Borne, Berrichons au travail, Vieux flacons et vieilles bouteilles, Renaissance de La Borne (en 1948) ...etc.
De l'âge de huit à quinze ans, se souvient encore Étienne, j'étais "saute ruisseau" et après l'école ou le lycée, je faisais de la manutention, du rangement, je bricolais pour réparer des rayons, je redressais des clous, je faisais des emballages et des livraisons (cent sous de pourboire !).
Les jeudis et les week-ends, j'accompagnais mon père dans sa voiture pour prendre les produits pour le magasin. Porcelaines chez Taillemitte, Pillivuyt et Larchevêque à Mehun et Vierzon, faïence à Gien, verre chez Thouvenin à Vierzon, grès à La Borne - c'est là que j'ai vu mon premier "grand feu" ! Le credo et l'originalité de François Guillaume est de préférer toujours les productions locales pour son magasin et de faire réaliser ses créations par des artisans locaux. Et tous les métiers sont concernés, de l'artisanat du verre à celui de la porcelaine, de la faïence au grès, et au bois pour le mobilier.
C'est durant les années trente que François Guillaume collabore avec Armand Bedu pour la réalisation de ses modèles dans l'atelier de La Borne d'en bas. Il s'y rend presque chaque week-end pour modeler et dessiner les pièces qui seront produites pour la vente dans son magasin de Bourges (objets pour la table, pichets, bols, assiettes, accessoires pour le jardin, la décoration de la maison, vases pour les fleurs, coupes pour la présentation des fruits....). D'autres sont des commandes pour des clients parisiens, comme le fleuriste Baumann.
Étienne Guillaume : "plus tard, quand j'avais entre quinze et vingt ans, je participais aux inventaires et comptais les assiettes et le reste du stock (environ quinze mille pièces !). Les quatre premiers jours de janvier étaient consacrés à ce travail harassant qui se terminait très tard le soir. Et après, il fallait passer les écritures sur un cahier réglé..."
Étienne se souvient qu'à l'occasion de la visite du Président Albert Lebrun à Bourges en 1937, son père avait relancé la vente des mazagrans en éditant des modèles ornés de décors originaux. J'évalue à environ deux cent cinquante mille la quantité fabriquée depuis ce jour d'avant guerre, dit-il.
Les années de la guerre de 1939 et de l'occupation allemande sont dures pour tous. On ne trouve plus chez les fournisseurs de porcelaine que du "troisième choix". La pénurie de matières premières et d'énergie rend l'approvisionnement difficile, faute d'essence les véhicules roulent au gazogène. Nous étions dans "la recherche obsessionnelle de l'énergie" se souvient Étienne Guillaume. Mais à La Borne, pas de problèmes de ce genre, il y a de l'argile et du bois, et du travail pour l'atelier d'Armand Bedu où travaille aussi Jean Lerat, à l'initiative de François Guillaume. Justement, en sa qualité de trésorier de la Chambre de commerce, il obtient de débloquer une attribution d'électricité pour les ateliers bornois. Quant à Jean Lerat, il a commence à travailler pour Guillaume en avril 1941, date à laquelle il est rétribué pour les premières pièces produites. À la Libération, l'entreprise Guillaume va repartir, et en 1948 l'exposition bien nommée "Renaissance de La Borne" a lieu dans la salle d'exposition du magasin de la rue des Arènes.
En 1955, à la fin de ses études (HEC) et du service militaire en Algérie, Étienne travaille au magasin sous la direction affectueuse de son père, et, sans doute en mémoire des fastidieux travaux d'inventaires, il introduit l'usage des machines à calculer. Avec son frère aîné Pierre Charles, il prendra la suite de François Guillaume en 1958, et ce jusqu'en 2000. La maison Guillaume aura vécu un siècle et aura peut-être atteint son objectif commercial qui était de vendre dans chaque ferme du Cher un service de table complet en porcelaine !
Ce type de commerce, animé par le commerçant avisé qu'était François Guillaume, a vécu. Il est fini le temps où les fermiers allaient se fournir à Bourges pour équiper le foyer et la laiterie. Fini le temps où les familles berruyères allaient faire leurs achats dans cette maison renommée où il y avait tout, y compris un peu plus tard l'électro-ménager.
Et voila posés comme repère dans l'histoire locale, ces souvenirs de la maison Guillaume. La tradition s'y mélange avec l'innovation et le souci de la qualité, le goût du beau cohabite avec les nécessités de la vente, l'amour et la fierté du terroir avec la créativité. François Guillaume était éditeur d'art, collectionneur de grès anciens, promoteur du grès traditionnel bornois, et acteur important du renouveau de l'art céramique à La Borne (un de ses mérites aura été d'y croire dès avant les années trente). Autant de qualités qui méritaient d'être saluées.
> Photos. En haut la maison Guillaume 23 rue des Arènes. Photo du bas, de droite à gauche : François Guillaume, Étienne et Pierre, ses fils.
> Pour de plus amples détails lire la remarquable étude de Patrick McCoy : La Borne Renaissance. >>> Lien.
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La Borne. L'étincelle qui a allumé le feu. >>> Lien.