Le problème, si nous mangeons cinq fruits et légumes par jour (comme les médias nous le recommandent), c'est que ces fruits et ces légumes sont la plupart du temps chargés de pesticides. Chaque jour, nous sommes exposés à ces poisons. Ils sont présents partout, ils s'additionnent et existent souvent sous forme de combinaisons. On les mange, on les respire, on les manipule. On les trouve dans les aliments, les boissons, les jardins, les vêtements, les écoles, les produits de nettoyage, les insecticides, les désinfectants, les conservateurs, dans les crèches, les fermes, les maisons et les lieux de travail.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, rappelons l'enquête qui révélait qu’un individu absorbe en moyenne chaque jour dans son alimentation cent vingt-huit résidus chimiques (dont quarante sept suspectées d'être cancérigènes). La liste est édifiante : DDT, perturbateurs endocriniens (trente sept retrouvés dans la liste), pesticides interdits en France dans les haricots verts du Kenya, la tomate d’Italie, la pêche d’Espagne, le citron d’Argentine, le riz basmati. On sait déjà que l’exposition aux pesticides peut avoir de nombreux effets sur la santé : le cancer, des problèmes de fertilité et de reproduction, des maladies respiratoires, la perturbation du système hormonal (endocrinien), du système immunitaire ou du système nerveux, ainsi qu’une détérioration des capacités intellectuelles (handicaps cognitifs).
Les combinaisons de pesticides peuvent être bien plus nocives qu’une exposition à des pesticides isolés. Ce sujet qu'on appelle "effet cocktail", ou encore "effets combinés" commence à émerger, bien qu'à l’heure actuelle, les analyses de risques européennes et les législations ne tiennent compte que de l’évaluation de pesticides isolés ! Celà signifie qu'en négligeant les effets des combinaisons de pesticides, les instances nationales et européennes chargées de la santé sous estiment le risque que présentent ces produits chimiques pour la santé humaine et l’environnement, et retardent l'application des mesures de protection (effet du lobbying ?).
Cette idée de bon sens qui n'a échappé à personne (sauf aux technocrates et aux politiciens), vient d’être confirmée une fois de plus par l'étude scientifique menée par l’Université d’Aston, en Angleterre, et soutenue par les ONG Générations Futures et Antidote Europe.
L'étude a été publiée dans la revue scientifique en langue anglaise PLOS le 3 août 2012. Elle avait pour objet de tester les activités de mélanges de trois fongicides fréquents (pyrimethanil, cyprodinil et fludioxonil) sur les cellules gliales (qui constituent environ 50% du volume cérébral et 90 % des cellules du cerveau) et neuronales (celles du système nerveux central humain). Résultat : les dommages infligés aux cellules sont jusqu'à vingt ou trente fois plus sévères lorsque les pesticides sont associés.
Les résultats de la recherche montrent que la combinaison de ces fongicides exerce sur les cellules d’énormes stress oxydants. Les chercheurs expliquent : "Sous l’effet du mélange, mais pas des fongicides seuls (sauf le cyprodinil), ces cellules entrent en suicide cellulaire (apoptose). Les cellules sont également affectées par le mélange des fongicides".
Le Professeur Michael Coleman, responsable de l’étude de l’Université d’Aston, déclare : "Ce travail montre que certains pesticides, isolément ou en combinaisons, peuvent induire du stress et des modifications du devenir des cellules humaines. Ils peuvent aussi interférer avec des processus cellulaires basiques comme celui de la production d'énergie. Ces effets ont été mis en évidence à des concentrations proches de celles trouvées dans nos aliments". Le Professeur Michael Coleman ajoute qu'il faut faire "davantage d'efforts pour restreindre l'utilisation des pesticides dans les cultures destinées à l’alimentation".
L'association Générations Futures, a déclaré de son côté que les méthodes d’évaluation actuelles du risque, en négligeant les synergies entre pesticides, conduisent à une sous-estimation grave du risque pour l’homme et l’environnement. Générations Futures demande à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (ANSES) et à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de mener d’urgence les recherches qui s’imposent et, dans l’attente de résultats exhaustifs, d’abaisser significativement les limites maximales en résidus tolérées dans les aliments, dans un souci élémentaire de précaution.
> Allez, grâce à l'actualité qui permet des rapprochements pleins de sens, on en remet une couche. Pour Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé, (vous savez, ce chercheur qui vient de refuser la Légion d'honneur pour protester contre l’impunité des crimes industriels), "les moyens scientifiques de bien faire existent, mais pas la volonté politique. On retrouve ce qui s'est passé sur l'amiante (le déni du lien entre l'exposition et la maladie) dans les domaines des pesticides ou des produits pétroliers. Les lobbies industriels sont très agressifs sur la question des cancers professionnels et déploient des stratégies impressionnantes pour éviter la reconnaissance des maladies professionnelles".
Elle ajoute que la pratique de la sous-traitance des tâches dangereuses s'est généralisée aux industries et produits toxiques : "On manque d'un suivi professionnel des travailleurs concernés, ce qui permet de faire disparaître le problème de santé". "Une profession comme celle du nettoyage constitue un angle mort de l'épidémiologie".
Annie Thébaud-Mony déplore aussi le manques de moyens de la recherche publique et souligne que la recherche en santé du travail est financée par les industriels, qui sont à la fois juges et parties ! Elle dénonce l'impunité de la "criminalité industrielle ", c'est-à-dire le manque de moyens de la justice en matière de santé au travail.
> Par son geste et sa déclaration, Annie Thébaud-Mony met en lumière le fait que pour les conseils d'administration des entreprises de la chimie et de l'agro-business, la santé des citoyens (qu'ils soient leurs salariés ou les consommateurs), compte moins que les profits réalisés. Le principal ennemi de la santé publique et de l'environnement, c'est la cupidité des dirigeants d'entreprises assoiffés de profit.
La France n'atteindra pas l'objectif de réduire de 50 % l'usage de pesticides en 2018, a déclaré le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll mardi 24 juillet. Devant la mission commune d'information sur les pesticides du Sénat, Stéphane Le Foll a estimé que cet engagement, adopté lors du Grenelle de l'environnement en 2007, était aujourd'hui hors de portée. La fédération d'associations écologistes France Nature Environnement (FNE) a appelé le ministre à ne pas remettre en cause un engagement pourtant validé par le monde agricole. Car "le problème n'est pas l'objectif mais la volonté politique pour l'atteindre".
On le savait déjà : pas besoin d'entreprendre une étude sur l'effet cocktail de la politique néo libérale en France et de l'action de la Commission européenne ! Stéphane Le Foll (ministre de l'Agriculture), Marisol Touraine (ministre de la Santé publique), Benoît Hamon (ministre de la Consommation) et Jean-Marc Ayrault (premier ministre), c'est à vous de jouer ! Enfin, on verra ....
> Photo du bas : Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé, directrice de recherches à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
> Sources : Générations futures "Une étude scientifique démontre les effets néfastes de mélanges de certains pesticides couramment utilisés."
L'étude de l’Université d’Aston sur le site PLOS (en anglais) : http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0042768
École du bout du monde "Mangez des pesticides"
Rapport sur l'assiette toxique : http://www.ac-renoble.fr/ecole/ecoleduboutdumonde.venterol/IMG/pdf_Rapport_assiette_toxique_281110.pdf