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"Sizwe Banzi est mort"..

Vendredi 9 février. Sizwe Banzi est mort. Une pièce de Athol Fugard-John Kani et Winston Ntshona, et non de Peter Brook, comme peut le laisser croire le titre du dépliant de la MCB  remis aux spectateurs (c'est la mise en scène, qui est de Peter Brook).

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Styles, ouvrier chez Ford (Afrique du sud), arrondit ses fins de mois avec son studio photo.

"Sizwe Banzi est mort" est une comédie amère et drôlatique, humaine et sarcastique, qui se déroule sous le régime de l'apartheid. Sizwe Banzi (Habib Dembélé) est dans une situation difficile, il ne possède pas le "pass" (un document à la fois carte de séjour et carte d'identité) qui lui permettrait d'obtenir un travail en ville et de nourrir sa famille, restée au village. Styles (Pitcho Womba Konga), virtuose de l'humour noir, de la tchatche et du mime, va trouver une solution en lui faisant endosser l'identité d'un mort, un mort qui possédait un "pass"… On pense, bien sûr, à l'Afrique du sud, mais aussi à d'autres "sans papiers" plus proches de nous. De nombreux jeunes dans la salle ont été sensibles à ces double aspect de la pièce et ont fortement applaudi le spectacle.

L'oeuvre est servie par deux excellents acteurs africains, et bénéficie d'une vigoureuse mise en scène toute au service du texte - poétique, forte et sans esbrouffe.

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Sizwe Banzi (Habib Dembélé) à gauche, Styles (Pitcho Womba Konga), à droite.

Auteur, metteur en scène et comédien, Athol Fugard est né en 1932, dans la province du Cap, en Afrique du Sud. Descendant d'immigrés catholiques irlandais par son père, Afrikaner par sa mère, il est le produit de plusieurs cultures.

Au début des années 60-70, pendant la montée en puissance de la politique d'apartheid, Athol Fugard pratique un théâtre populaire et de contestation. Il devient le metteur en scène (blanc) d'une troupe de comédiens (noirs), les "Serpent Players", se produisant dans les townships (villes-ghettos reservées aux noirs). Pendant les quatorze années qui vont suivre, malgré l'écriture, la mise en scène et son métier d'acteur (il joue dans ses propres pièces), Athol Fugard continue son travail avec les "Serpent Players". Mais leur popularité devient vite gênante : des comédiens sont arrêtés, Athol Fugard se voit retirer son passeport pour l'empêcher de produire ses pièces à l'étranger.

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Sizwe Banzi (Habib Dembélé) à gauche, Styles (Pitcho Womba Konga), à droite.

Durant cette période, Athol Fugard s'est fait un nom en tant qu'auteur de théâtre d'avant-garde portant à la scène les problèmes des noirs et des pauvres blancs d'Afrique du Sud et se servant de son art pour dénoncer l'apartheid. Il écrit : "Sizwe Banzi est mort", "L'île-prison", "Inculpation pour la violation de la loi sur l'immoralité"... Il écrira aussi une trilogie axée sur la difficulté des rapports de famille : Les Liens du sang", "Hello and Goodbye", "Boesman and Lena". Bon nombre de ses pièces sont traduites en français et ont été jouées à Paris, Londres, New-York ou Johannesburg.

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C’est la prise en direct de la réalité et de la "vie véritable" par le théâtre qui intéresse au plus haut point Peter Brook, qui trouve avec ce texte la possibilité de poursuivre son dialogue avec l’Afrique et avec les acteurs africains. "Qu'est-ce que le théâtre de Peter Brook ? Un art totalement prémédité, ou une somme d'improvisations ? Un sommet de la modernité, ou un recours aux formes les plus archaïques, les plus immémoriales ? Une pratique "zen", où l'intensité procède de l'économie et de la concentration, ou un foisonnement exubérant, élisabéthain ? L'aboutissement d'une quête spirituelle, ou celui d'une incessante attention à la matière, y compris ses formes les plus frustes, les plus élémentaires ? L'incarnation d'une vision unique, ou la somme d'un travail collectif ? Tout cela à la fois, sans doute, et c'est ce qui fait de Brook le créateur le plus immaîtrisable qui soit" [Guy Scarpetta]. Ajoutons que Peter Brook fonde son travail sur une  grande culture et une lecture du texte d'une grande exigeance afin d'en exprimer le contenu. Honnêteté, rigueur et humilité, une intelligence mise au service des auteurs et portée à un très haut degré, font de Peter Brook un des grands metteurs en scène de l'époque moderne. Sizwe Banzi est en tous cas la meilleure mise en scène vue à la MCB depuis longtemps, à mon sens.