Steen Kepp m'adresse ces photos datant de 1980, et l'histoire de la meule de charbon de bois de Jango (Jean Godefroid), charbonnier, fils de Eugène Godefroid (charbonnier), et de Raymonde Godefroid.
Cette année là, Steen met en oeuvre une méthode de cuisson de la céramique rapportée de son voyage au Japon, il a besoin d'une quantité importante de charbon de bois pour couvrir les céramiques pendant le refroidissement du four. Il se fait livrer suffisamment de charbonnette de charme pour réaliser une meule.
Les photos montrent les étapes de la construction par Jango: au centre du bois de gros diamètre, ensuite du bois de moindre diamètre disposé de manière concentrique, puis sur le dessus du volume.
La construction terminée ressemble un peu à une yourte.
Le charbon de bois est obtenu en carbonisant du bois de manière contrôlée en l'absence d'oxygène. Le procédé permet d'extraire du bois l'humidité et les matières végétales volatiles, afin de ne conserver que le carbone. Les morceaux sont d'une longueur de 1 mètre environ, on les dispose debout et inclinés, entassés les uns sur les autres en formant une circonférence dans le plan horizontal (de 3 à 6 mètres environ de diamètre), et une demi circonférence dans le sens vertical. Le charbonnier ménage un trou de toute la hauteur dans le centre pour y mettre des braises, puis il referme totalement la meule en la couvrant d'une couche de terre et d'herbe pour éviter l'oxygénation. Le bois se consume pendant plusieurs jours (ou semaines) suivant l'essence choisie et le volume de la meule. Lorsque le bois est carbonisé, on ajoute une nouvelle couche de terre sur la meule pour l’étouffer complètement, on laisse refroidir, puis on démonte le tout.
Jango a surveillé la combustion pendant trois jours et trois
nuits, tournant et tournant autour de sa meule. Steen ajoute : " je lui
ai prêté une tente pour s'abriter la nuit, mais au matin, Jango ne trouvant pas
l'ouverture, s'est dressé à l'intérieur de la tente et s'est mis à marcher - on
aurait dit qu'une espèce de fantôme s'agitait dans le pré… Sans doute il avait
insisté un peu trop sur la gnôle cette nuit là !"
Sur cette image, on distingue Jango au repos (au fond à gauche), la cuisson est
presque terminée, la meule s'est tassée il y a encore quelques petites braises sur le pourtour : c'est le "pied" de la meule qui brûle.
Le morceau de bois qui dépasse de la meule est un témoin de combustion, sa couleur est légèrement métallisée, "gorge de pigeon", en termes de métier.
"Ensuite, après le refroidissement, Jango a ouvert le
tas à l'aide d'un râteau de bois qu'il venait de confectionner. Nous avons mis
le charbon en sacs et nettoyé l'espace comme on aurait fait d'un lieu de culte
païen. Il n'y avait aucune perte, que du charbon de première qualité, un
travail parfait !
Quelques jours plus tard, j'ai voulu faire une dernière
photo. Jango a pris une douche, et changé de pull et de béret pour la
circonstance, puis il a posé, sur l'emplacement de sa meule".
Jean Godefroid habitait une maisonnette sans confort, en lisière de forêt, à La Borne d'en haut. Ses voisins étaient eux aussi gens des métiers d'ici, et de l'ancien mode de vie rural - Camille Saulnier, un ouvrier potier avait travaillé chez Robert Foucher - Élise Chantereau était rétameuse et fondait aussi des couverts de cuisine. Jango, lui, était fils de charbonnier....
Jean Pascaud, qui a connu les Godefroid, ajoute "C'étaient des gens de parole, au caractère droit et bien trempé. Le père, Eugène Godefroid était responsable du syndicat des bûcherons. Homme des bois, dans les forêts de Boucard, de Maupas, de la Chapelotte et de La Borne, il était un peu braconnier par nécessité. Il aurait aussi (dit-on) "braconné" quelques soldats allemands pendant l'occupation. On ne les a jamais retrouvés…
Jango, qui avait signé un engagement de cinq ans dans la
Légion étrangère pour la guerre d'Indochine, avait participé à la bataille de
Dien Bien Phu et avait été fait prisonnier par l'armée Vietnamienne. À son
retour en France il avait repris le métier de son père. En 1976, je l'ai aidé à
faire valoir ses droits à une pension militaire, il ignorait qu'il pouvait en
bénéficier !"
J'ai donné quelques photos à sa fille, Huguette Godefroid. Elle m'a indiqué que son père est mort en
1986, à l'âge de soixante six ans. Jango repose au cimetière de Pignoux, à
Bourges.