Enfant, à Saint Martin d’Auxigny, mes parents m’avaient conté le pays de Cocagne. J’avais trouvé la description décevante, car le Berry qui m’entourait, m’offrait déjà tous les trésors de ce prétendu pays merveilleux. À Saint Martin, il n'y avait pas de ruisseaux de limonade ni de jambons poussant sur les arbres, mais pour le reste, le pays de Cocagne n’était à mes yeux que banalités. Chez moi, du jambon, il y en avait tant et plus quand on tuait le cochon; et puis du boudin et de l’andouille. Des fraises grosses comme ça, des framboises, des abricots, des pêches, prunes, cerises, poires et pommes... le jardin et le verger en étaient pleins. Sans parler des alentours plantés de pommiers de toutes sortes. La nature les avait munis de longues échelles qu’il suffisait d’escalader pour satisfaire sa gourmandise chaque jour de la saison. S’il n’y avait pas d’échelle, les fruits étaient déjà dans leur caisse au pied de l’arbre, et s’il n’y avait pas de caisse, les pommes jonchaient le sol. Le jus des fruits trouble et sucré coulait du pressoir, il y en avait trop...
Faire la sieste dans l’herbe à l’ombre des peupliers, boire l’eau du ruisseau, pêcher des vairons pour la friture, courir la campagne… Le pays de Cocagne ? J’y étais.
Voilà donc ton souvenir d’un Berry idyllique, ironiseront certains…
Mais non, pas seulement. Il y avait les hivers glacés, le long chemin pour atteindre l'école du village, et les engelures; les galoches inconfortables, et la pluie qui transperçait ma cape jusqu’à mouiller ma blouse grise d’écolier (déjà le le progrès, c’était la fin des blouses noires). Et aussi, quelques bagarres et tours pendables, parfois l’école buissonnière, et les vigoureuses taloches de mon père en conclusion.
Quoi encore ? La senteur des foins, les champs de blé parsemés de bleuets et de coquelicots, le spectacle des faucheurs, la poussière des jours de batteuse. Les pieds trempés dans l’herbe humide des prairies quand on allait cueillir des champignons. Le bleu des tombereaux, celui de la bouillie bordelaise pour traiter la vigne qui courait sur la façade des longères, les couleurs enflammées de la haie de peupliers face à la maison chaque automne. Et la radio qui me mettait du Charles Trenet plein les oreilles ; je fredonnais avec lui "Douce France" et "Mes jeunes années".
Et, si je ne comprenais pas grand chose aux histoires drolatiques ou paillardes des conteurs qui parfois buvaient la goutte à la maison, la musique de leur accent se mêle pour toujours aux souvenirs de mon Berry de Cocagne.
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