Ce texte est un pastiche du Malade imaginaire de Molière. Il met en présence Diafoirus, médecin de l"époque, Purgon, charlatan parmi les charlatans, et Marianne (née quelques années après Molière…). Les médecins et les charlatans de Molière et les politiciens ou journalistes de notre temps, partagent un culot commun et un talent à débiter les contre-vérités, comme le montre Gilles Martin-Chauffier avec talent (Paris Match du 30 avril 2020).
Marianne.
Mes amis, quel malheur que cette épidémie,
Soyez les hommes qui me donnent un avis.
En ces matières, rien ne vaut un bon médecin.
On respecte leurs paroles comme celles des saints.
Diafoirus.
C'est pourquoi, près de vous, nous sommes toujours prêts,
Trop heureux que vous songiez à nous consulter.
Marianne.
Hier ne jugiez-vous point les masques importuns,
Voire inutiles, à ne pas mettre entre toutes les mains.
Vos allers et retours donnent à tous le tournis.
Purgon.
Madame, cet avis était un conseil d'ami.
Nous n'allions proposer un remède introuvable
Même si nous le savions vraiment indispensable.
On ne suggère que les solutions disponibles.
Marianne.
Jaugée par vous, toute ordonnance semble impossible.
N'avez-vous pas découragé les vétérinaires
Qui proposaient de faire des tests leur ordinaire?
Diafoirus.
C'est qu'ils piétinaient notre domaine réservé.
Sans diplômes requis, on ne touche à la santé.
Ce fléau frappe les hommes, pas les chiens ou les chats.
Marianne.
Mais vous les enfermez, vous ne les soignez pas.
Hier vous jugiez les frontières superflues.
A présent, il faut un passeport pour traverser la rue.
Quant aux tests, nul ne sait plus où vous en êtes.
Purgon.
Nous en sommes là où vos ministres nous le permettent.
Soyez certaine que, dès que nous pourrons le faire,
Un avis scientifique donnera son feu vert.
Marianne.
Si, au moins, vous vantiez l'hydroxychloroquine !
On affirme que c'est là fort bonne médecine.
Sur les malades, ses effets feraient merveille.
Purgon.
Voilà encore une galéjade née à Marseille.
Les miracles que ce cabotin tire de sa manche
Éblouissent le mardi mais déçoivent le dimanche.
Il ne manquerait plus qu'une simple molécule
L'emportât sur nos titres et tous nos calculs.
Diafoirus.
Un bon remède ne sort pas d'une trousse médicale.
Il doit tout d'abord suivre le parcours légal.
Voilà qu'on soignerait sans attendre les décrets,
Qu'on guérirait sans passer par des arrêtés.
Cela ne saurait encore se voir en France
Où le salut passe toujours par une ordonnance.
Marianne.
Sur la cible même du virus, que de soupçons !
Hier encore ne revenait que le poumon.
Aujourd'hui vos avis semblent de la voltige.
Diafoirus.
Mais non, c'est le poumon!
Purgon.
Le poumon; vous dis-je!
Marianne.
Sans doute, assurément, mais que de temps perdu !
Purgon.
Inutile que nous ayons querelle là-dessus.
Ce qui était vrai·hier aujourd'hui ne l'est plus.
Et, malgré nous, le nombre des malades diminue.
Marianne.
On en renvoie cependant en cours de transfert
Parce qu'il manque un paraphe à une circulaire.
Pendant ce temps sur les grands et petits écrans
Se succèdent des mandarins tous plus savants
Qui prétendent nous apprendre ce qu'est le bien
Quand chacun défend un avis qui est le sien.
Purgon.
C'est ainsi que nous prouvons notre compétence
En donnant à notre science une belle apparence.
Marianne.
Nulle part, pourtant, il n'y a autant de décès.
Même la pauvre Italie n'atteint pas ces excès.
Diafoirus.
Enfin, cessez, nous sommes les meilleurs du monde.
Personne n'en doute et on le tient pour dit.
Qu'importe que, chaque jour, on creuse de nouvelles tombes,
Puisque, chaque soir, le pays nous applaudit.
> Gilles Martin-Chauffier dans Paris Match du 30 avril.