Lors de l’occupation des ronds points par les gilets jaunes, les journalistes ont été choqués par la défiance exprimée par les manifestants à l’égard des médias. L’image peu sympathique dépeint des journalistes membres d’une élite parisienne, fortunée, proche, voire complice, du pouvoir présidentiel. Une impression partagée bien au delà des seuls gilets jaunes….
La question du salaire des journalistes suscite la curiosité. Le salaire révèle-t-il une déconnexion à l’égard du reste de la population ? Sont-ils tous de grands Mamamouchis des médias ? Frédéric Lemaire, dans un article (magazine web Acrimed du mardi 26 novembre 2019), expose un ensemble de chiffres qui montrent une situation très contrastée. Bien qu’ils se nomment tous journalistes, les éditocrates et autres présentateurs stars des plateaux télé affichent des rémunérations très supérieures à celles des autres journalistes *. Mais font-ils le même métier ?
Selon les chiffres de l’Observatoire des métiers de la presse, le salaire médian des journalistes en CDI est, en 2017, de 3 591 € brut par mois (plus de 2 700 € net), celui des pigistes et des CDD de 2 000 € environ (soit plus de 1 500 € net), et je ne suis pas certain que les plumitifs du Berry Républicain en gagnent autant. À cela s’ajoute un abattement fiscal de 7 650 € sur leurs revenus imposables. Pour rappel, selon l’INSEE le salaire médian mensuel net en France s’élevait à 1 789 € en 2016 dans le secteur privé (soit un peu plus de 2 300 € brut).
Le magazine Challenges reprend quant à lui les chiffres de 2011, avancés par Éric Marquis (membre de la Commission de la carte professionnelle des journalistes de 1994 à 2018), pour étudier la répartition des salaires des détenteurs de la carte de presse embauchés en CDI. Vous pouvez les voir avec le graphique à colonnes bleues:
Enfin Le Parisien apporte également d’autres éléments, en évoquant la grille de salaires établie par le Syndicat national des journalistes (SNJ). En 2017, dans la presse quotidienne nationale, les salaires varient entre 2 162 euros brut à la sortie d’une école de journaliste (près de 1 600 € net) à 5 430 pour un rédacteur en chef (près de 4 200 € net). Pour la presse quotidienne régionale, les salaires sont légèrement inférieurs, de 1 833 à 5 138 € brut.
Dans Challenges, le sociologue Jean-Marie Charon, note “un phénomène de précarisation de la profession”, avec le nombre croissant de pigistes (payés “à la pige” c’est à dire embauchés au coup par coup et payés à l’article ou à la photo), qui sont confrontés à des difficultés croissantes et rémunérés à des tarifs bas et qui n’ont pas été revalorisés depuis parfois quinze ou vingt ans !
Mais si la plupart des journalistes sont loin de rouler sur l’or, ce sont les rédacteurs en chef et autres animateurs ou journalistes stars – aux salaires parfois faramineux – qui sont en position de fixer les orientations éditoriales. Et dont la déconnexion avec la réalité de la plupart des salariés (y compris des « simples journalistes ») pose question.
Selon L’Express, les salaires faramineux des journalistes seraient “un mythe” ; non, c’est un “fantasme” écrit Challenges ; Le Parisien y va également de son article de “fact-checking” selon la formule à la mode (qui ne sert qu’à enfumer). Les gars qui écrivent ça devraient lire plus souvent les journaux, car les exemples de ponts d’or distribués aux grands Mamamouchis des médias n’y manquent pas !
Dans une enquête en avril 2018 sur les salaires des journalistes, le Dauphiné libéré évoque notamment des ordres de grandeur pour les salaires des présentateurs de TF1 (Gilles Bouleau, Anne-Claire Coudray et Jean-Pierre Pernaut), estimés entre 30 000 et 45 000 € par mois ; de Ruth Elkrief sur BFM-TV (10 000 € par mois), ainsi que pour le service public : 15 000 € net par mois pour Laurent Delahousse (France 2), et 6 000 € net par mois pour les présentatrices et présentateurs de France 3. Les matinales radio ne sont pas en reste : Thomas Sotto (prédécesseur de Patrick Cohen au 7-9 d’Europe 1), touchait un salaire de 37 938 € net par mois selon le Canard enchaîné. Des ordres de grandeur qui demeurent inférieurs au salaire de Claire Chazal, présentatrice de TF1 sur le départ, révélé par Challenges en 2015 : près de 120 000 € brut par mois ! Natacha Polony, qui touchait 27 400 € mensuels (net ou brut ?) pour sa revue de presse sur Europe 1 jusqu’en 2017, ou de Maïtena Biraben (55 944 € brut par mois comme présentatrice du “Grand journal” avant son licenciement en 2016)
Un autre genre de grands Mamamouchis des médias est celui des éditocrates multicartes qui multiplient les sources de revenus en se déployant sur différents médias : presse, radio, télévision. Les cas sont nombreux écrit Frédéric Lemaire, qui prend quelques exemples dans l’année 2016 : ainsi Christophe Barbier était directeur de rédaction de L’Express (jusqu’en octobre 2016) et chroniqueur pour BFM-TV, était rémunéré par le groupe Altice Média (devenu SFR Presse en juillet 2016) ; Franz-Olivier Giesbert était rémunéré par Le Point et RTL (Les grosses têtes) ; Hervé Gattegno par le Journal du dimanche), RMC et BFM-TV où il donnait son “parti-pris” ; Nicolas Domenach était chroniqueur à Challenges, “La nouvelle édition” (Canal +) et débattait avec Éric Zemmour tous les matins sur RTL à partir du mois d’août ; Thomas Legrand intervenait comme éditorialiste politique dans la matinale de France Inter et comme chroniqueur dans “28 minutes” ; Dominique Seux était également éditorialiste dans la matinale de la radio publique, et directeur des Échos ; Nicolas Beytout était rémunéré par L’Opinion dont il est le fondateur et par France Inter, où il donnait son éditorial le samedi matin ; Jean-Michel Aphatie cumulait les revenus de ses activités sur Europe 1, sur France Info et dans “C l’hebdo” (France 5). Et Yves Calvi intervenait sur RTL (animateur de la matinale), sur LCI et dans “C dans l’air” (France 5).
Là encore, au sein même de cet échantillon du petit groupe privilégié des éditocrates multicartes, les écarts de revenus cumulés sont importants puisqu’ils varient de 100 000 euros brut annuel à près d’un million d’euros. Tous figurent (au moins) dans les 2% des salariés français les mieux rémunérés.
Mais ces gens là exercent-ils le métier de journaliste ?
> Extraits librement commentés d’un article de Frédéric Lemaire dans Acrimed (action critique médias) du mardi 26 novembre 2019.
> Cliquez sur le graphique pour l’agrandir.
* Et à celles de la grande majorité de la population française.
> Source Que gagnent les journalistes ? Entre précarisation et salaires faramineux. Acrimed, mardi 26 novembre 2019
https://www.acrimed.org/Que-gagnent-les-journalistes-Entre-precarisation