“Les dimanches de Carnetin : Histoire d'une famille littéraire”, ce livre sera une découverte qui comblera tous ceux qui aiment Marguerite Audoux. Les lectrices et lecteurs y feront connaissance avec le cercle d’amis de la “couturière des lettres”, qui révèle une Marguerite Audoux méconnue dialoguant avec des artistes et poètes qui marqueront le début du vingtième siècle.
À l’âge de 18 ans Marguerite Audoux “monte” à Paris. Là, elle mène la vie pénible des ouvrières de son temps de 1881 à 1900. Elle rencontre Michel Yell qui devient son amant et lui fait connaître ses amis écrivains. Ce groupe d’amis (qui n’est pas une école littéraire) se réunit de 1904 à 1907 à Carnetin, un village de l’est parisien où la bande de copains restaure une maison pour y passer les dimanches au vert. Les amis de Marguerite Audoux deviendront célèbres dans le monde des lettres, notamment Charles-Louis Philippe (Bubu de Montparnasse, La Mère et l’Enfant), Valéry Larbaud (Fermina Márquez), Léon-Paul Fargue (Le piéton de Paris), Léon Werth (La maison blanche, Cochinchine), Francis Jourdain (Sans remords ni rancune), et Michel Yell dans une moindre mesure…
Communauté littéraire, artistique et intellectuelle, mais aussi affective, le Groupe de Carnetin, semble une auberge espagnole, dont les pensionnaires se réunissent sous le regard bienveillant de Marguerite Audoux et lisent leurs manuscrits aux uns et aux autres. Peut-être trouve-t-elle avec eux la famille qui lui a tant manqué.…?
C’est Francis Jourdain, qui va présenter la modeste couturière à Octave Mirbeau (écrivain, auteur de succès populaires, dramaturge, critique d'art et journaliste), qui fait la pluie et le beau temps dans l’édition. Conquis par le talent et la pureté de l’écrivaine inconnue qui écrit sur des cahiers d’écolier, Mirbeau écrit la préface de Marie-Claire. Le 2 décembre 1910, elle est couronnée par le prix Fémina et la semaine suivante, manque de peu le prix Goncourt !
Le groupe de Carnetin “est un petit miracle de l’unité dans la diversité” écrit Bernard-Marie Garreau dans “Les dimanches de Carnetin : Histoire d'une famille littéraire”. Dans son ouvrage, l'auteur expose l'existence, l'oeuvre et l'originalité de chacun de ces écrivains qu’il développe l’un après l’autres dans des portraits individuels. Et il ajoute dans sa présentation du livre : “c’est Marguerite Audoux qui va, en quelque sorte, servir de fil conducteur pour que nous puissions cerner l’existence, l’œuvre et l’originalité de chacun des membres de cette communauté, son rôle dans le groupe, et son ouverture à la culture de l’époque. Pour que nous puissions réaliser, surtout, comment des personnalités apparemment si dissemblables aboutissent, au-delà de leurs différences, à une véritable résultante plus qu’à une simple addition de talents”.
Parmi les amis de Marguerite Audoux, certains connaîtront la célébrité ou passeront à côté des prix littéraires, d’autres affichent des opinions libertaires, comme Octave Mirbeau et Léon Werth, ou socialistes, comme Jourdain, Wallon, ou Besson. En tous cas, l’aurait-elle voulu, en pareille compagnie Marguerite Audoux n’aurait pu fermer ses oreilles au bruit du monde. L’empathie présente dans ses romans étant un des traits de sa personnalité, on comprend qu’elle ait accepté de se joindre aux signataires qui demandaient l’amnistie pour les soldats révoltés contre la “Loi de trois ans” (>>> Lien dans gilblog). Mais selon Bernard-Marie Garreau, de là à lui coller une étiquette politique, il y aurait un pas démesuré. Et l'auteur précise, “elle n’était pas féministe. Elle ne s’intéressait pas aux questions politiques, ni à des courants de pensée comme le féminisme. Elle était toujours en retrait. Par exemple, on a voulu lui donner la légion d’honneur, on lui avait envoyé le formulaire. Je l’ai retrouvé intact dans une enveloppe, elle n’y avait pas touché”.
Apparemment “en retrait”, Marguerite Audoux n’écrit pas des romans sociaux sur la condition ouvrière, mais ses personnages sont “de la condition des gens modestes”, ils en vivent les épreuves et en expriment les douleurs et les sentiments. Comme dans “De la ville au moulin”, ses personnages littéraires aussi nobles et touchants que d’autres héros romanesques appartenant à des milieux sociaux propres à faire rêver, existent, tout simplement.
C’est ainsi qu’elle a toute sa place au sein du groupe littéraire de Carnetin. Remercions Bernard-Marie Garreau dont le livre nous révèle un nouveau visage de Marguerite Audoux, celui d’un écrivain parmi ses amis.
- Espérons que ce travail trouvera une place digne de son importance en créant une nouvelle salle et des activités dans le Musée Marguerite Audoux à Sainte Montaine. La conférence du 6 novembre 2021 ne saurait suffire à compenser le peu d'ambition des animations (souvent éloignées de l’œuvre de Marguerite Audoux), proposées dans ce lieu….
> Portraits, de gauche à droite et de haut en bas : Léon-Paul Fargue, Francis Jourdain, Léon Werth, Charles-Louis Philippe, Marguerite Audoux, Valéry Larbaud. Plus bas : Octave Mirbeau.
> “Les dimanches de Carnetin : Histoire d'une famille littéraire”, par Bernard-Marie Garreau. Éditions Complicité. Un livre broché de 207 pages. Format 15X21 centimètres. Prix 19 euros. En vente à La Poterne et La plume du Sarthate à Bourges et dans les bonnes librairies.
> Bernard-Marie Garreau, est maître de conférences honoraire, et spécialiste de Marguerite Audoux, dont il a écrit la biographie (Marguerite Audoux, la couturière des lettres). Il réalise actuellement au CNRS l’édition numérique de la correspondance générale de la romancière.