Les Amazones du lycée Marguerite de Navarre et les animaux de Séraucourt.

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Par un télescopage dont l’actualité a le secret, les silhouettes animales de Séraucourt rencontrent les médaillons de personnages féminins du lycée Marguerite de Navarre à Bourges. Je m’explique :  "JJLerat et les Amazones de Bourges", le livre que François Lerat consacre à l’œuvre de Jean Lerat paraît au moment où l’on pose au sommet des édifices de la place Séraucourt trois reproductions animales (un cerf une biche et un mouton) inspirés d’animaux taxidermisés du muséum d'histoire naturelle.

Je ne m’attarderai pas sur le chapitre expliquant le remarquable travail de Jean Lerat pour concevoir et réaliser cette série de quarante et un médaillons monumentaux. Passer de la création d’objets et sculptures de dimensions usuelles à une création à l’échelle architecturale est un défi artistique. Dessiner les personnages, concevoir les rythmes des portraits pour animer la façade, faire les maquettes en plâtre en vraie grandeur, rechercher et mettre au point les matériaux (10 tonnes d’argile), trouver les moyens de cuisson de ces pièces en grès de grandes dimensions (ce sera à Vierzon), travailler d’arrache pied pendant plus de deux ans du printemps 1951 à décembre 1953, sont encore d’autres défis. Je vous encourage à découvrir le livre qui raconte cette aventure et contient les quarante et une biographies des héroïnes, un excellent et enrichissant ouvrage, conçu et réalisé par François Lerat, fils de Jean et Jacqueline Lerat. 

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Mais le propos de cette page est différent : il s’agit de la confrontation des sculptures-silhouettes de Séraucourt et des personnages du Lycée Marguerite de Navarre. Et ce que cette confrontation nous révèle. C’est à dire le sens que peut avoir une œuvre d’art (de nos jours on dit plus trivialement et de façon réductrice : le contenu). 

Inauguré en 1953, l’ensemble de quarante et un médaillons monumentaux du lycée de jeunes filles est sans doute unique en Europe par sa portée émancipatrice et féministe. Il est le fruit du combat d’Yvonne Cordillot, féministe depuis sa jeunesse (elle milite pour le droit de vote des femmes), membre du comité d’Histoire de l’Occupation et de la Libération, et proviseur de l’établissement, qui veut offrir des conditions de vie décentes aux lycéennes berruyères. Yvonne Cordillot, qui se bat pour la réalisation et le financement du projet, en confie la réalisation à l'architecte Jacques Barge et au céramiste Jean Lerat, alors installé à La Borne avec Jacqueline son épouse et alter ego dans l’art. 
Pour Anne Dressen (auteur d’un des chapitres du livre), rendre à ces Amazones de Bourges leur dimension féministe c’est réparer l’injustice “
de la place accordée aux femmes dans l’espace public”. Dès les années 50, fidèle à ses convictions et croyant au rôle libérateur de l’art, Yvonne Cordillot présente dans son établissement des modèles féminins aux jeunes filles du Cher. 
Et quels modèles ! Des femmes exemplaires, femmes de lettres, scientifiques, femmes d’action, éducatrices, patriotes, artistes, figures chrétiennes, révolutionnaires… Un choix éclectique qui puise dans l’histoire de la France et fait voisiner Marguerite de Navarre avec Simone Weil, Marguerite Audoux avec Marie de Sévigné, Marie Curie avec Sainte Geneviève, Marie de La Fayette avec Marie Talbot, Louise Michel avec Marie Harel, Blanche de Castille avec Berthe Morisot, Flora Tristan avec Germaine de Stael, George Sand avec Odette Brouillet, Olympe de Gouges avec Maryse Bastié…. etc.

C’est pour le caractère exceptionnel de cette réalisation que les façades de l'ancien internat sont inscrites au titre des Monuments historiques (depuis le 28 juin 2001) et que le Lycée Marguerite de Navarre est labellisé "Patrimoine du XXe siècle" par le Ministère de la Culture (depuis le 26 mars 2013).

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- Comme les médaillons du lycée Marguerite de Navarre, les sculptures en aluminium de Séraucourt signées Olivier Leroi (une commande publique, de 208.000 euros), ont été financées par le 1% artistique instauré en 1951. Une proposition qualifiée d'"originale" et "invitant à un parcours mental, imaginaire, qui ne fait pas baisser les yeux, mais lever la tête et nous interroge sur le rapport à la nature du monde citadin" déclare un conseiller municipal berruyer au Berry Républicain. Et l’artiste complète le propos : c’est un ”dialogue entre ces différents lieux de culture. Le cerf regarde et écoute la biche qui, elle-même, écoute le mouton. Le passant se retrouve non pas au pied d'une œuvre monumentale, mais dans un environnement que j'ai souhaité le plus délicat possible.” 

Il semble en effet que les spectateurs qui lèvent la tête s’interrogent sur le sens et la raison de la présence de ces installations animales. Mais les méandres insondables de leur pensée sont certainement éclairés  par l’effort de pédagogie que je viens de citer. 
En tous cas, je cherche vainement ce qu’il y a de commun entre ces réalisations, choisies sans doute par les administrateurs de l’EPCC (Scène nationale de Bourges ex MCB - avec l’aval de la DRAC et du maire de Bourges ?), et l’esprit qui présidait au choix ambitieux et généreux d’Yvonne Cordillot. 

J’y vois pour ma part un exemple de plus de l’art officiel au message impénétrable qu’affectionnent les apparatchiks de la culture, un art détaché des réalités de notre société et de notre temps. À des lieues d’un art éveilleur de conscience, un art émancipateur qui s’adresse aux citoyens…

- Appelée à Paris pour remplir d’autres fonctions,Yvonne Cordillot quitte Bourges en 1953. Depuis son départ, personne dans la ville (ou peu s’en faut) ne relaie le message inscrit au fronton du lycée. Il semble que les autorités locales aient préféré le silence. Et depuis 1969 il semble aussi que le silence ait succédé à l’éviction de Gabriel Monnet, autre éveilleur de conscience trop créatif et trop remuant.
Un silence égal à celui des animaux qui contemplent les berruyers du haut des toits de Séraucourt. 

> Illustrations de haut en bas : Six parmi les quarante et un médaillons du lycée, photos Alain Lachapelle. Le livre de François Lerat. Le cerf d’Olivier Leroi posé sur le toit de l’ancienne maison de la culture. 

> JJLerat et les Amazones de Bourges. Un livre d’art de 164 pages relié couverture toilée rigide. Format 27,5X17,5 centimètres. Prix 39 euros. En vente à Bourges : librairies La Poterne 41 rue Moyenne et La plume du Sarthate, 83 avenue Arnaud de Vogüé.

> On peut lire la liste et voir les 41 médaillons de Jean Lerat sur le site JJ Lerat.  >>> Lien.    
> Lire dans gilblog : Louise Michel à Bourges une œuvre  de Jean Lerat.  
>>> Lien.  
> Sur le même thème, on peut lire : “De si gentils artistes gouvernementaux” par Évelyne Pieiller dans Le Monde diplomatique de décembre 2021 page 19 (ou l’artiste labellisé au service de l’embellissement du système). 


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