Sur la place de La Charnivolle, le marché bat son plein. Tout comme les conversations chez la Zézette, le café du village. Et ça cause, et ça cause…
Bientôt y aura plus b’soin d’monnaiet ni d’billets pour ach’ter son manger, dit Émile Turpin le boucher (dit “rapoilu"), j’viens d’payer mes choux et tout l’pot au feu anc’ la carte en plastique du Crédit Rural !
Et bin, moi j’te dis qu’ça l’est point une bonne nouvelle, dit Berlaudiot, j’v’as t’espliquer pourquoi l'argent liquide c’est vital et pourquoi les banques à z’on trouvé moyen d’nous en prend’ encore plus….va don savoir même si l’en restera au train où ça va ! C’est pas Émilien Champault, directeur du Crédit Rural du Cher, qui dira l’contraire. Dame c’est pas pour rin qu’on l’appelle Émillions !
Berlaudiot, tu causes, tu causes et pi tu dis rin, alors vas-y, qu’on passe à aut’chose, s’impatiente la Zézette.
Bon, alors j’t’esplique, dit Berlaudiot. J'on un billet de 50 euros dans ma poche. J’vas chez toi, Turpin, et j’paie mon rosbif anvec mon billet d’50. Toi tu t’en sers pour payer Eugène Babillot qui t’a vendu la vache. Babillot l'utilise ensuite pour payer l’coiffeur. Le coiffeur s’en sert à son tour pour fée les courses. Après avoir payé Turpin, Babillot et l’coiffeur, l’billet d’50 euros y vaut toujours 50 euros. Moi j’appelle ça du vrai argent !
Et moi j’te dis que l’meilleur bénéfice est celui qu’est pris. Ça c’est un proverbe qui dit queuque chose, pas comme ton histoire, dit la Zézette !
Berlaudiot, tu causes, tu causes, c’est long et tu nous en dis pas plus que tout à l’heure, avec tes 50 euros, dit Paulin Chigot le maçon (dit ”cadet”), qui écoute depuis le début et qui s’impatiente aussi.
Bon, j’continue si tu m’fais pas perde eul’fil, dit Berlaudiot. Si j’vas chez la Zézette et que j’paie eul’ plat du jour anvec la carte en plastique du Crédit Rural, la Zézette à l’aura pas 50 euros, al’aura moins qu’çà, à cause des frais de translation bancaire qu’y z’appellent : allez, j'vas dire 1 euro pour qu’tu comprenne. Eh bin, après seu’ment 30 translations, sur les 50 euros du départ, y reste plus qu’20 euros en vrai argent, les 30 euros manquants y s’ront allés dans l’profit à Émillions et à son système bancaire. Et voilà l’affaire : après 50 translations, ton billet il aura disparu, c’est pu du vrai argent, y sera passé dans l’trésor des banques, et toi t’auras rin !
Après la démonstration de Berlaudiot, le silence se fait, les cervaux font une pause. Et soudain…
Bin qui don qu’tu fais d’la monnaie, Berlaudiot, s’esclaffe Paulin Chigot, si alle est plus dans l’total, ça fait plus l’compte !
C’est là que j’voulais en v’nir, Paulin, conclut Berlaudiot. La monnaie, j’la garde, c’est toujours ça qu’auront pas les banques !