Un proverbe local dit que le berrichon n’aime pas tourner autour du pot. Le directeur de la centrale nucléaire EdF, les représentants de l’Autorité de Sureté Nucléaire (ASN) et Patrick Bagot, président de la Commission locale d’information (CLI) et maire de Belleville, ne sont certainement pas d’ici, si l’on en croit leurs réponses lors de la réunion publique du 22 octobre.
Les deux journalistes de la Voix du Sancerrois qui ont fait le compte rendu de cette réunion dans le numéro du 24 octobre s’en sont également aperçus.…
Selon leur résumé, les rares questions posées par les participants à la CLI ont été l’occasion de revenir sur l’information publiée en février par le site Internet Reporterre : avec une piscine de déchets nucléaires, la centrale de Belleville sur Loire pourrait devenir le deuxième plus grand site de stockage hautement radioactif de France après la Hague. La piscine serait destinée au stockage de combustible usé Mox (mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium), considéré comme dangereux.
Mais, aux dires du directeur de l’usine nucléaire d’EDF, il n’y a rien de prévu sur le site de Belleville….
Pourtant, selon le processus décrit par l'ASN, EDF en est au stade de présentation d'un dossier technique de conception des futures installations qui serait validé début 2019. Une directive gouvernementale impose la mise en place d’un programme régional de gestion du risque (PRGDR) qui impose de gérer les déchets radioactifs. Ceci fera l’objet d’un Programme Pluriannuel de l’énergie et concernera l’entreposage temporaire de ces déchets en piscine (on remarquera le mot “entreposage temporaire”, enfumage destiné aux mal informés - il suffit que les déchets nucléaires soient renouvelés pour que l’entreposage soit temporaire). Ensuite, EDF déposera une demande d'autorisation de création d’une nouvelle installation (procédures exigées par l’État). EDF et l'État se donnent donc un an de plus pour la réflexion, la décision devant intervenir en 2020.
Bien que le site de Belleville figure parmi les projets de stockage les plus probables, EDF prétend ne pas avoir de projet. Mais le même EDF achète 140 hectares de terrains pour agrandir les capacités du site. La centrale de Belleville où fonctionnent deux réacteurs nucléaires était prévue pour en accueillir quatre. Et 140 hectares, c’est l’équivalent de la surface pour l’implantation d’un réacteur EPR sur le site de Saint Laurent des eaux dans le Loiret. On acquiert pas une surface de 140 hectares en plus de la surface existante sans raisons ni projet ! Et s’il n’y avait pas de projet, pourquoi dépenserait-on de l’argent et pourquoi se fatiguerait-on à suivre des procédures, à remplir d’interminables formulaires et à constituer des dossiers ?
Et puis, il y a l’urgence, et le volume de déchets radioactifs qui ne cesse d’augmenter, 1,54 million de mètres cubes ! Tel est le volume des déchets radioactifs présents en France, d’après l’inventaire publié le 12 juillet par l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra). Soit 85.000 mètres cubes de plus que lors du précédent inventaire de 2015. Et sachez qu 58,8 % de ce volume sont issus de l’industrie électronucléaire.
C’est pourquoi les capacités de stockage existantes arrivent à saturation. Le Centre de stockage de la Manche de Digulleville/ La Hague, où sont enfouis 1,477 million de colis de déchets radioactifs de faible à moyenne activité, est plein et fermé depuis 1994. Le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) de Morvilliers (Aube), dimensionné pour accueillir 650.000 mètres cubes de déchets faiblement radioactifs, pourrait arriver à saturation entre 2025 et 2030. C’est pourquoi, l’Andra (Agence Nationale pour la gestion des déchets radioactifs) cherche de nouveaux sites où installer de futures poubelles.
Il faut savoir que par un tour de passe-passe en forme de jeu de mots, les technocrates distinguent les “déchets”, dont aucune utilisation n’est plus possible, des “matières” radioactives, qui seraient potentiellement réutilisables. Mais ces perspectives de réutilisation paraissent très fantaisistes. Ainsi, tout l’uranium appauvri présent sur le territoire français (290.000 tonnes fin 2013) est considéré comme une matière radioactive, parce qu’il pourrait être réenrichi. Chacun, en lisant cette histoire marseillaise, aura saisi que le volume de déchets radioactifs annoncé est largement sous-évalué.
Bref, tout le monde a compris qu’un projet d’entreposage de matières radioactives à Belleville est planifié. Le président de la CLI, le directeur de la centrale et les représentants de l’ASN, devraient parler clair et cesser de tourner autour du pot. Peut-être à cause du dossier de classement touristique au patrimoine mondial de l’Unesco qu’espèrent les élus du Sancerrois ?
Arrêtons l’hypocrisie, et commençons enfin à parler de la sécurité des habitants et de la fermeture des centrales vieillissantes. Et de celles situées en zones inondables. Il y a là un gros retard à rattraper.
> Cliquez sur la carte des déchets radioactifs pour l’agrandir.
> Pour en savoir plus. Reporterre “Les déchets radioactifs s’entassent partout en France”. >>> Lien.
Le rapport “Inventaire national des déchets radioactifs”. >>> Lien.
Le rapport “Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs”. >>> Lien.