Il y a quelques semaines je vous parlais de Fanny Chenu dans une petite page et vous annonçait la suite pour bientôt. C’était grâce à un envoi de Jacqueline Bedu-Milhaud, petite fille d’Aimée Bedu et arrière petite fille de Fanny, qui m’avait adressé le texte de son histoire familiale bornoise. Voici le moment de découvrir cette histoire, et je suis prêt à parier que certains d’entre vous y reconnaîtront quelques anciens….
Le 24 mai 1860 une petite fille vient au monde à La Borne. Ses parents, Rose Eulalie et François Chenu, la prénomment Fanny Eulalie.
Ses parents, habitants de La Borne ont vécu une véritable histoire d'amour.
François Chenu son père (qu'on appelait Boucan car, à la Borne la coutume voulait qu'on donne des surnoms) était tombé amoureux de sa maman Rose Foucher, vingt ans, alors que lui même en avait trente. Mais sa demande en mariage fut refusée par le père de Rose qui était veuf. Il voulait que sa fille ainée élève ses frères et sœurs, Tydal, Eulalie, Pauline.
François a dit alors : “Fille, je t’attendrai". Et il a attendu dix ans.
Donc, notre Rose s'est mariée à presque trente ans. Sa première fille fut donc mon arrière-grand-mère Fanny (1860)
Ensuite un petit garçon François qui est hélas décédé à vingt ans d'un “sang glacé” comme on disait à l'époque. Une pleurésie. Rose ne s'est jamais remise de ce deuil. Ce jeune François était l'oncle de ma grand-mère Aimée. Il est mort lorsque celle-ci avait deux ans. Il parait qu'il aimait beaucoup sa petite nièce et la faisait grimper sur ses épaules.
En 1870 une autre petite fille prénommée Louise qui a eu une longue vie. C'était “La tante d’Henrichemont" que j'ai bien connue. Dans son livre de souvenirs Aimée en parle avec affection de “sa jeune tante de seize ans !”
Nous allions la voir avec mémée assez souvent. Elle portait la coiffe berrichonne et était très gentille, dans mon souvenir. Elle est morte à quatre vint quatorze ou quatre vint quinze ans dans sa famille à Bourges.
Il y avait une petite école dans ce quartier de La Borne au bout du chemin du “Ch'tit Crot”. Fanny y a appris à lire, et sans doute aussi le catéchisme.
Tante Solange disait qu'il existait deux sortes de Berrichonnes : les grandes “plates” comme elle, et les “petites rondes” Fanny était une petite rondinette, bien en chair avec une poitrine généreuse. Elle était, comme on disait de jolie figure et bien faite. Comme cela se faisait dans ce temps là son mariage fut arrangé par ses parents tout en tenant compte de son inclination. Et ce fut un bon mariage. Les dernières paroles de Léon Chenu, son mari, mort en 1926 furent (Mémée a assisté ses deux parents) “J'ai eu une bonne femme avec ma Fanny”.
A dix neuf ans, en 1879, elle épouse donc Léon, trente ans, potier à La Borne. Léon était arrivé à sept ans au village Il savait déjà, et très bien lire et écrire (chose rare à l'époque). Il lisait le journal aux habitants. Son père Jean Chenu avait épousé Marie Foucher, la maman de P'a Léon.
Marie était la fille de Claude Foucher, commissaire à Vierzon et destitué on ne sait pas vraiment pour quelle raison. Officiellement pour mauvaise conduite. Claude a vécu dans les années 1820. Il a eu trois garçons et une fille Marie qui épousera Jean Chenu.
Marie et Jean Chenu ont eu Léon, et Marie (épouse Tamisier). Dans l'ancien album on peut voir Marie Tamisier sœur de P'a Léon en photo (photo sur verre prise en 1865). Une de ses filles, Marie est entrée au couvent. Et l’autre, Henriette Tamisier, je me souviens bien d'elle et de sa mousse de cheveux blancs. Elle a habité Rennes et a vécu longtemps. Ma grand-mère Aimée était sa seule parente encore en vie. Elle a donc touché un petit héritage et, elle m'a donné une boite en porcelaine en souvenir de la cousine Tamisier.
Toujours en 1820, une autre famille Foucher donne naissance à Tydal, Eulalie, Pauline et à Rose, la nôtre, épouse de François Chenu, maman de Fanny, Louise et de ce petit François mort à vingt ans. Ce jeune François était le père d'un enfant naturel qu'il n'a pas pu reconnaître.
Donc, le 29 octobre 1879 Fanny devient l'épouse de Léon et ils s'installent tous les deux dans une jolie maison proche de la route d'Henrichemont. Tous les deux étaient potiers. Lui tournait comme personne les gros pots à saler et elle était très habile pour fabriquer les anses.
Le 3 mai 1880 un petit Henri Alexandre vient au monde mais il est très, trop, fragile et décède le 26 mai. Malgré son grand chagrin, Fanny a le courage de donner son lait pour nourrir un autre petit bébé de La Borne.
Très vite Fanny retombe enceinte et met au monde un deuxième petit garçon Arthur François le 21 septembre 1881. Hélas, lui aussi ne verra la lumière du jour qu'à peine un mois et il décède le 27 octobre de la même année à 7 heures du matin (ce détail est porté sur le livret de famille)
De nouveau Fanny et son mari sont en pleurs et, de nouveau, elle va offrir son lait généreux à un petit Bornois que la jeune maman ne peut pas nourrir suffisamment.
Sans être bigots mes arrières grands-parents étaient croyants. Henrichemont était peuplée de, disons petits bourgeois conservateurs, tandis que les ouvriers et paysans de La Borne étaient plutôt “rouges”. C'est ce qui a fait le malheur de P'a Léon d'ailleurs. Pour défendre des camarades potiers il a fait une grève, a tenu bon ... et s'est retrouvé seul abandonné par les “amis” et a beaucoup perdu financièrement. Cela l'a beaucoup attristé.
Mais je reviens aux temps des maternités de Fanny.
Après la perte cruelle de ses deux premiers bébés, une petite fille lui est née : ma grand-mère Aimée née le 3 décembre 1882. (Marie Honorine Aimée). Il faisait froid, très froid et la petite Aimée ne pesait que 1 kilog 500. Le grand-père Boucan disait: “Ses petites mains, al’ sont si ch’tites ! On dirait deux fourchettes” ! Et les gens de la Borne s'inquiétaient: “Elle va pas la garder non plus, cette petite, la Fanny” ! Mais ma grand-mère a survécu et a tenu bon jusqu'à quatre vingt onze ans! (sans avoir reçu le moindre vaccin !)
Le 23 septembre 1885 une autre petite fille vint au monde : Louise Jeanne. C'était “la” Tante Louise qui a eu une vie très particulière. Déjà un bébé quand elle n'était pas mariée. Une fille, Andrée qui est sur la photo des Potiers dans les bras de M'an Fanny. P'a Léon avait dit “Elle n'est pas la première, elle ne sera pas la dernière à avoir un enfant comme ça, toute seule. Il n'y a pas de honte”.
Louise a vécu toute sa vie en Tunisie auprès de Patrice De Warren, son grand amour. (Il était marié ... on l'avait marié mais c'est Louise qu'il aimait. Ils sont décédés la même année.) à plus de quatre vingts ans.
Et, puis, miracle! l'arrivée d'un beau petit garçon en bonne santé: Alfred Hippolyte. Le 2 mars 1888. Les grands - parents Boucan qui avaient perdu leur seul fils adoraient ce petit garçon. Mémée avait six ans. Elle disait que ce petit frère était très joli et bien éveillé.
Hélas ... on ne sait pas bien ce qui s'est passé. Fanny est partie à Henrichemont le laissant sur son lit et l'a retrouvé mort à son retour ... on pense étouffé par l'édredon. Fanny est presque devenue folle de douleur. Mémée disait qu'elle se jetait sur le petit cercueil en hurlant et qu'elle ne voulait pas le lâcher. ..
Et puis, la vie ...
Le 30 octobre 1890 Une petite Estelle fait son entrée. Fanny avait reçu un calendrier des Postes ou l'image représentait Némorin offrant des fleurs à Estelle D'où le choix de ce prénom. C'était une petite fille espiègle et enjouée qui a vécu, elle aussi plus de quatre vingts ans. Elle habitait Asnières les Bourges où j'ai passé de bien agréables vacances lorsque j'avais 12 ans. Je me souviens de ·confitures de quetsches, d'un grand jardin, d'une tante toujours de bonne humeur. Son fils, son Marcel habitait encore avec elle. C'était un beau jeune homme qui travaillait déjà à l'aéroport d' Avord.
Sa sœur aînée Yvonne a eu, elle une vie plus difficile. Mariée très jeune à une brute qui la battait et dont elle avait un fils, elle a divorcé, s'est remariée avec un brave homme dont elle a eu aussi un fils. Ce dernier est mort jeune laissant une jeune lemme et un petit garçon.
Ce sont eux qui ont pris soin d'Yvonne dans son très grand âge. Elle vient de s'éteindre à quatre vingt dix sept ans.
Fanny a donc élevé ses trois filles, pleuré ses trois petits garçons. Elle disait: “Je ne crains pas la mort car mes trois petits anges m'attendent au paradis”.
Elle a également élevé Andrée, l'enfant “naturelle” de sa fiIle Louise, Marguerite la fille d'Aimée et de son mari Alexandre Bedu (mes chers grands parents) et leur fils Bernard! Un garçon, un beau garçon bien vivant intelligent et bagarreur qui “se défendait avant” comme il disait!
P'a Léon lui passait tout. “Monte donc sur le coffre à bois, p'tit frère et, pisse debout comme un homme” ! Le même succès auprès de Rose et François Chenu, dit Boucan qui habitaient la petite maison de La Borne.
C'est dans cette maison que Bernard a vécu ses dernières années. Le grand-père Boucan l'enlevait dans ses bras et le regardait avec tendresse : “Tu as les yeux si clairs, mon Bernard, qu'on te voit jusqu'au fond de la tête” ! Inutile de dire que Bernard, mon père, a toute sa vie vénéré ses grands parent. Je crois qu'il est enterré avec une photo d'eux sur son cœur, ce pauvre cœur qui a tant battu et qui a tant souffert.
En 1906 est née Solange que Mémée a pu élever elle même car elle et son mari venaient d'acheter “Les Rousseaux” Et la vie s'est écoulée paisiblement pour la petite Fanny et son époux. Ses deux filles Aimée et Estelle habitaient non loin d'elle et lui rendaient souvent visite. Par contre elle souffrait de l'absence de la lointaine Louise qui ne pouvait venir qu'une fois par an les voir et voir sa petite Andrée.
Elle a continué de travailler la terre glaise de La Borne. Le grand four était juste devant sa maison. Avec Léon et les gens de La Borne, ils ont construit la petite chapelle qui est maintenant devenue le musée de La Poterie. En effet pour s'acquitter des devoirs de chrétien (on était au dix neuvième siècle, début vingtième) il fallait se rendre à Henrichemont, à cinq kilomètres de là. Et, à pieds, c'est long ! Du coup les bornois se sont réunis et chacun a apporté sa pierre à l'édifice.
Les grands parents Boucan ont quitté cette terre à presque quatre-vingt ans. Léon, devenu assez taciturne (blessé qu'il était après cette grève où il avait tant donné et avait été si peu récompensé) s'est lui même éteint en 1926. Il avait attrapé une sale maladie de poitrine qui l'a fait beaucoup souffrir. Mon père disait qu'on l'entendait crier tellement il avait mal. La petite Fanny lui a survécu six ans. Mémée l'a assistée, comme elle avait assisté son père, jusqu'au bout.
A cette époque on ne connaissait pas les antibiotiques et une grosse bronchite est venue l'emporter. Elle ne criait pas mais respirait très difficilement.
“Quand est-ce qu'il arrive le car ? Tu l'as entendu Aimée” ? Jusqu'au bout elle a espéré que sa Louise vienne à son chevet. “Quand est-ce qu'il arrive le car” ? Mais le car n’a jamais amené Louise.
Lorsque celle-ci est décédée, sa fille Andrée l'a fait inhumer au côté de ses parents Léon et Fanny. Je suis allée à son enterrement. Andrée a dit “C'était leur préférée”, ce qui a fait beaucoup de peine à ma grand-mère qui s'était occupée d'eux toute sa vie.
Ils reposent à Henrichemont. Leur tombe existe toujours mais je n'ai pas su la retrouver lorsque je suis allée à La Borne avec Claude pour vendre la petite maison des Boucan.
“Tant que quelqu'un prononcera mon nom, je ne serai pas mort” disait le P’a Léon.
> Voilà une bien belle parole du p’pa Léon. Que cette page soit l’occasion de l'entendre encore une fois, pour lui et pour Fanny.
> Photos, de haut en bas. Fanny Chenu. Léon Chenu. La grand’rue, on pose devant le café Raboin. Carte postale 1 - Fanny au premier plan côté droit se dresse fièrement. Carte postale 2 - Fanny est assise au premier plan, un enfant dans les bras. En bleu, extrait de la carte postale 1.
> Lire dans Gilblog : Une voie de Fanny de La Borne. 1. >>> Lien.