Pendant plus de vingt-cinq ans, Pierre-Jakez Hélias a proposé aux lecteurs du journal Ouest-France des chroniques hebdomadaires en breton et en français. Les textes en français ont été rassemblés dans un ouvrage intitulé “Midi à ma porte”. Parmi ces chroniques aux sujets très éclectiques, un bref séjour en Berry et une nuit de bourrées aux Grandes Poteries. La scène que raconte Pierre-Jakez Hélias s’est déroulée dans les années soixante, peut-être au café Panarioux (?).
La photo d’illustration avec deux danseurs de bourrée et Pierre Panis (avec lunettes) au centre, a probablement été prise à une autre date, mais le lieu est une certitude. C’est bien le café de Clément Panarioux, puisqu’on distingue les dessins muraux d’André Rozay à l’arrière plan. Ça y est, vous voila dans l’ambiance.…
Il y a là quatre maisons et deux auberges, dit-on. Je ne peux pas en dire plus. Du hameau, je n'ai vu que les ombres confuses de quelques bâtiments rongés par la nuit, ça et là le rectangle d'une porte ou d'une fenêtre éclairée, biffée à traits fins par la pluie oblique. Des autos manoeuvraient difficilement sur la placette inégale. Leurs phares jouaient un ballet confus, balayant lentement des groupes de paysans endimanchés. En dépit du mauvais temps, aucun d'eux ne se pressait. Les gens des campagnes n'ont pas peur de la pluie. Leur métier commande qu'ils la supportent tant que le ciel n'ouvre pas ses écluses en grand. Ils ne se pressent pas vers le plaisir non plus. Ils y entrent peu à peu, en gourmets qu'ils sont. N'ont-ils pas inventé le vin et le fromage ?
La salle de l'auberge est bondée de gens venus des environs. Parmi eux, les inévitables touristes bardés d'appareils à photographier et à enregistrer, puisqu'il est reconnu aujourd'hui que le dernier poussin sorti de l'oeuf peut voler votre visage et votre voix sans demander autorisation. Le sol est fait de pavés de terre cuite, comme il se doit dans un pays de potiers. J'entends dire autour de moi, que ce carrelage a plus de 100 ans. La lumière électrique y allume des reflets de miel noir et de soufre. Et trois vielleuses se mettent à sonner la danse majeure des berrichons : la bourrée.
Les vieux commencent. Ils demeurent les maîtres et les champions. La danse remonte à eux du tréfonds de leur jeunesse. C'est admirable de voir comment ils portent le torse et les bras. Mais un groupe de jeunes se lance en piste après eux. Si le style de danse n'est pas le même, c'est parce qu'ils font selon leur âge et leur époque. Il y a encore de la graine de bourreyeurs en Berry. Le terroir est bon, il faut croire.
Avant de partir, tard dans la nuit, j'entendis quelqu'un mener la danse à son de gueule. Il ne sortait pas une parole mais seulement une ratelée de sons qui calquaient la vielle dans le registre humain. Enthousiasme général dans la fumée de tabac. Dehors, la pluie avait cessé. Sur la placette inégale, on dansait à se rompre les genoux entre deux lampées de vin de Sancerre.
Et puisqu'il y avait deux auberges dans le hameau, il fallait bien aller rendre visite à l'autre. Ainsi se comportent les gens de bonne compagnie.
> Voir dans gilblog : Café Panarioux. Les dessins muraux d'André Rozay. >>> Lien.
Le Festival des Grandes Poteries à Neuvy deux Clochers. >>> Lien.
Wkipedia. Pierre-Jakez Helias. >>> Lien.