2020 est le centenaire de la mort de Jean Baffier, né à Neuvy-le-Barrois le 18 novembre 1851 et mort à Paris le 19 avril 1920. Mais dans sa province d’origine, on est bien peu informés sur l'homme, son caractère, son œuvre, l'essentiel de ce que laisse une vie à ceux qui pourraient s'enrichir à le connaître. Pourtant quelle œuvre puissante, quelle forte personnalité, quels débordements, caractérisent Jean Baffier….
Autour de Mic Baudimant, quelques berrichons d’aujourd’hui pensent que nous perdrions tous en ignorant le grand bonhomme. C’est pourquoi ils veulent célébrer cette personnalité hors du ncommun ”mégalomane, fougueuse, démesurée, grandiloquente et rabelaisienne” (selon les mots de Mic Baudimant).
La Gazette berrichonne dans son numéro 239 (Avril-mai-juin 2020), consacre plusieurs pages à Jean Baffier. Une étude de la vie et de l’œuvre, par Mic Baudimant, et un recensement de ses sculptures par Béatrice de Chancel-Bardelot. Ce sera pour de nombreux lecteurs l’occasion de faire une découverte et de s’approcher des œuvres du sculpteur (car un certain nombre d’entre elles sont visibles dans le Cher et dans les musées nationaux).
Voici quelques très courts extraits de l’article de Mic Baudimant qui, je l’espère, vous inciteront à lire la Gazette berrichonne pour approcher l’œuvre de Baffier et ses multiples aspects, sa ferveur régionaliste, ses écrits ….etc.
> Physiquement armé pour bûcher des statues monumentales, Baffier s'empressa de tailler plusieurs figures d'hommes célèbres qui jalonnèrent l'Histoire de France et dont certaines villes lui firent commande, dès 1883 : le chancelier Rollin, Louis XI (1884), François Rabelais, Michel Servet ( 1908), Jean-Jacques Rousseau, (1885), les révolutionnaires Saint Just et Marat (1883). Celle de Marat dont le plâtre est visible aux musées d'Issoudun et Sancoins, fut coulée en bronze pour Paris: déplacée et érigée aux Buttes-Chaumont, elle disparut durant la dernière guerre, fondue sur ordre de l’occupant (coulée à nouveau en 2012, cette œuvre magistrale est depuis 2013 au musée de la Révolution française à Vizille). Certains personnages, restés à l'état d'ébauches, se trouvent aujourd'hui multipliés en plâtres patinés de plus ou moins grandes dimensions ; ils font le plaisir de rares amateurs d'art. (…)
On rapproche habituellement ”l'Homme Taureau” d'une série de créations de moindre taille, tous corps secs et musculeux qui nous parlent avec justesse des ouvriers, des paysans, des vignerons, du ”Jacques Bonhornme” de tous les temps qui hanta ses jeunes années d'artiste. Baffier a vu et fait ces travaux de peine. Les bronzes patinés, les plâtres lustrés disent assez bien l'effort et la sueur; la douleur aussi. Les attitudes sont justes et touchent au cœur les vrais travailleurs de la terre qui les contemplent aujourd'hui: le ”buveur au pichet” moissonneur s'abreuvant en fin de fauche d'une manière goulue et quasi désespérée, ”le travailleur de la Terre” s'appuyant sur son pic dans une attitude éreintée, sont, comme ”le hotteur à la cuve” ou ”l'Homme de pavs” (autre dénomination de ”l’Espoir" ou de ”l'Homme Taureau”) d'une telle vérité qu'on approuve avec enthousiasme de le voir qualifié de ”Millet de la sculpture ”. Ernest Nivet, autre Millet de la sculpture, de 20 ans son cadet et praticien comme lui chez Rodin, n'a-t-il pas porté ombrage à Baffier dans cette veine paysanne du maître de Barbizon ? Gérard Coulon le prétend. On trouve dans cet éloge des paysans une telle proximité d'inspiration que le doute glisse un instant sur l'attribution des œuvres. Ainsi ”les fileuses” ou ”les couturières” de Nivet travaillant sur leur devant de porte ne guident-elles pas notre mémoire visuelle vers ”le goûter du veau” ou ”L’épine” de Baffier ? Mais, comme l'écrit Nivet sur une carte postale, n'ont-ils pas l'un et l'autre ”bu à la santé de l'Art avec une petite goutte de vin Marioni", leur mécène !!! ”Le greffeur”, dans son attitude de sage concentration, nous ramène des rudes travailleurs de la terre vers la douce piété filiale du cercle familial de Neuvy-le-Barrois. Un torse nu, marque de virilité et souffle.de l'homme, suffit à en faire le lien. (…)
Pour approcher l'artiste, évacuons d'entrée le souci - certes sérieux- de son intolérance notoire d'extrême droite Anti-Dreyfusarde. Pour beaucoup de nos contemporains, elle le place d’emblée hors du milieu artistique auquel il devrait et pourrait prétendre. Parmi les ”coups de queule” dont il fut coutumier, ses ”objections sur la médaille à Monsieur Zola offerte à propos de l'affaire Dreyfus” caricaturent la rude expression ouvrière de l'époque. L'écrire dans les marges d'un carnet d'ouvrier (le prétendu sien) devait il justifier à ses yeux le langage et l'acte agressif perpétré contre le député Germain Casse, son ami de la veille" ? (monté à Paris, Baffier s’engage en politique et en arrive à blesser Germain Casse, député du 14e arrondissement, à la canne épée).
Il est facile à nos contemporains de s'abstraire des réalités que furent, à la rupture des deux siècles, celles de l'exode rural, de l'industrialisation à marche forcée, de la pression politique et financière d'une bourgeoisie peu tendre bien que républicaine. Ours mal léché et impétueux, l'ogre Baffier avait, à l'évidence, quelques circonstances atténuantes.
> Pour servir de conclusion, cet aspect de la personnalité de l’artiste est en tous cas, à mes yeux, un mauvais prétexte pour les autorités culturelles et les élus locaux pour leur politique d’abandon et leur ignorance de l’importance de l’œuvre de Jean Baffier (on encense officiellement des personnages bien pires que lui). Quand cet immense artiste sera-t-il exposé dans le Cher au sein d’un musée départemental digne de ce nom, entièrement consacré à son œuvre ?
> Illustrations, de haut en bas. Jean Baffier par Maurice Joron 1914 (musée du Berry). Marat, bronze de Jean Baffier, musée de Vizille. Caricature de Jean Baffier par Louis Mohler. P’tit Jean le greffeux, bronze de Jean Baffier.
> La Gazette berrichonne numéro 239, Avril-mai-juin 2020. À La Poterne, 41 rue Moyenne à Bourges, dans les bonnes librairies et maisons de la presse.
> Lire dans gilblog. Jean Baffier, un sculpteur maudit ? >>> Lien.