Bourges vient de confirmer sa candidature au titre de Capitale européenne de la culture en nommant un “commissaire général de la candidature”, ainsi que le relate un article du Berry républicain (2 décembre, page 8).
Mais avant de vous en parler, je vais faire un détour par un article légèrement persifleur paru dans Le Monde Diplomatique de décembre et intitulé “De si gentils artistes gouvernementaux”. Dans ce papier, Evelyne Pieiller s’intéresse à une commande publique gouvernementale et politiquement correcte de trente millions d’euros. Je résume avec quelques extraits.
Cette commande publique a deux objectifs : soutenir les créateurs, et, grâce à leurs œuvres, “réenchanter le monde”, comme l’annonce le ministère de la culture. Le comité artistique chargé de piloter l’affaire et qui a récemment élu 264 projets parmi les 3 200 proposés est censé éclairer le propos : il s’agit de “rêver de mondes nouveaux” et “surtout pas d’un Nouveau Monde”. Surtout pas. ”Des mondes à penser, à créer, à construire, à accueillir, mais pas à conquérir”.
Comme on pouvait s’y attendre des artistes acceptant de se plier aux termes du concours, leurs mondes nouveaux sont gentiment en phase avec les grands thèmes politico-médiatiques d’aujourd’hui : le réchauffement climatique, le poids du patriarcat, l’ouverture à l’autre, la créolisation, mais aussi la relocalisation, la redécouverte des ressources oubliées et de proximité …etc.
On remarquera que ces artistes “gouvernementaux” ne semblent pas avoir pris conscience que, dans des domaines qui leur sont proches, la situation est préoccupante….(Et l’auteur de faire la liste des sujets oubliés, à commencer par la réforme de l’assurance-chômage, la perte notable de public dans les salles, la baisse des recettes des établissements publics (qui aboutira à une baisse des subventions, et des créations, et donc des emplois).…
Emmanuel Macron, lors de l’annonce des résultats, a tenu un discours brillamment conclusif : “Ce qui rend le monde actuel insupportable, c’est (…) le rêve d’un monde ancien qui n’a jamais été, mais apparaît plus étriqué et rassurant que le monde dans lequel on vit”. Simple. Ce ne sont pas les “réformes”, l’injustice, la financiarisation qui rendent le monde insupportable. C’est le passé mythifié. Est-ce celui des conquêtes sociales ? Les artistes gouvernementaux et leurs œuvres approuvent. Ce régime a les artistes qu’il mérite, et inversement.
> Pendant ce temps, Bourges réaffirme sa candidature au titre de Capitale européenne de la culture et nomme un “commissaire général de la candidature”. Voici sa proposition aux artistes, exposée sur le site web créé pour promouvoir la candidature de Bourges. Je trouve que cet énoncé, comme le précédent, est très Macron-compatible. Je cite en ajoutant des commentaires (en gras) qui n’engagent que moi. Vous pouvez ajouter les vôtres.
- À l’heure où les industries culturelles et créatives ont dépassé en chiffre d’affaire annuel sur le territoire de l’Union l’industrie automobile et l’aviation (1), Bourges veut développer un laboratoire de nouvelles pratiques en créant la première Cité européenne des artistes et des auteurs : un lieu ressource unique en Europe développant tous les services dont les artistes et les industries créatives ont besoin pour se développer, dans un maillage européen qui n’est proposé nulle part ailleurs.
(1) Étrange addition du chiffre d’affaires des industries “culturelles” (Show business, grandes surfaces de type Fnac ou Cultura, salles de spectacles, disque, édition, etc), et produit des créateurs. C’est la recette du pâté d’alouettes. (un cheval, une alouette, un cheval, une alouette, etc).
Réfléchir aux droits sociaux et aux droits d’auteurs des artistes, mais aussi aux droits culturels, à l’inclusion sociale par la culture, à la mobilité des artistes en Europe, à l’éco-féminisme, à la diffusion et l’archivage des œuvres à l’heure du numérique, au changement climatique, aux challenges qui traversent la société européenne (2).
(2) Mais on ne pense pas aux millions de chômeurs, aux fermetures d’entreprises et à la désindustrialisation, à la pauvreté, aux inégalités de salaire hommes/femmes, à la situation de l’Hôpital public, aux droits des immigrés, à la révolte des gilets jaunes. Autant de challenges défis qui ne traversent pas la société française ni la société européenne ?
S’inspirer du New European Bauhaus et de S+T+ARTS, les programmes de la Commission Européenne (3) qui questionnent le statut de l’artiste dans l’Union avec une vision spécifique.
(3) L’exposé se réclame de l’Europe six fois en trente lignes alors que le 29 mai 2005 la majorité des français par 15 449 508 Non (54,68% des suffrages) ont rejeté le projet de constitution pour l’Europe. Promouvoir aussi lourdement l’Europe est particulièrement hors sujet, car le refus a été encore plus spectaculaire dans le Cher avec 92 927 Non (60,40% des suffrages !). Les auteurs de ce projet semblent avoir plusieurs trains de retard.
Bourges veut développer en complément “Villa Europa”, le premier réseau européen de résidences d’artistes durable, autour du changement climatique, en s’appuyant sur des réseaux européens organisés et pérennes déjà existants.
Héritiers de la première maison de la Culture de Malraux inaugurée trois fois (4), Bourges 2028 veut, soixante ans plus tard, inventer le rôle sociétal de l’artiste et la démocratisation de la culture aujourd’hui, les nouveaux chemins de création de la culture du XXIe siècle. Mais surtout donner au territoire un potentiel de profils créatifs, innovants qui seront ceux qui co-participeront à son futur.(5)
(4) Inaugurée 3 fois, en quoi est-ce un titre de gloire ? Le maire de Bourges ayant viré Gabriel Monnet, directeur de la MCB, voila une référence très mal choisie.
(5) Le rôle sociétal de l’artiste et la démocratisation de la culture aujourd’hui, n’est-ce pas justement de créer pour tous ceux qui travaillent et pour les millions de chômeurs, pour les pauvres, contre les inégalités de salaire hommes/femmes, pour l’Hôpital public, pour les droits des immigrés, tous absents de ce cahier des charges ?
Donner au territoire un potentiel de profils créatifs, innovants qui co-participeront à son futur. On saisit mal le sens de ce charabia technocratique ?
> La France est, depuis quarante ans, un des États les plus interventionnistes du monde en matière de création artistique (ce qui ne signifie pas que les moyens financiers en faveur de l’art et de la culture suivent), avec notamment sa Délégation aux Arts plastiques du Ministère, ses Fonds Régionaux d’Art Contemporain, son système de subventions et de soutien à la création, un État qui d’un côté prétend protéger la liberté de d’expression artistique (du genre “Plug anal”) et qui de l’autre favorise la spéculation financière sur le marché de l’art. Avec cette politique, on assiste depuis quarante ans à la prédominance d’un art officiel hermétique, coupé des réalités, à l’opposé du rôle éducateur et émancipateur qui devrait être le sien.
Comme l’écrit Evelyne Pieiller : désormais, l’artiste (s’il entre dans le jeu de cette politique) est au service de l’embellissement du système. Et Bourges, dans sa candidature au titre de Capitale européenne de la culture, semble s’être engagée dans cette voie. Pascal Blanc peut se réjouir….
> Illustrations de haut en bas, quelques avatars de l’art officiel. Le sex toy ou sapin de Noël (?) de Paul McCarthy place Vendôme. Fontaine de Marcel Duchamp, New-York 1917, ce canular a été pris au sérieux par les critiques. Le cerf de Séraucourt. Un exemple d’art officiel chinois (avant 1980).
> Sources: Le Monde diplomatique. Décembre 2021 page 19. De si gentils artistes gouvernementaux.
Candidature de Bourges au titre de Capitale européenne de la culture. >>> Lien.
L’ubuesque dirigisme artistique d’État. >>> Lien.
Le Berry républicain. La candidature de tout le territoire. 2/12/2021 page 8.