Nous étions un soir de semaine, j’étais en vacances (mais un envoyé spécial n’est jamais vraiment en vacances), et à la mi-journée, j’ai reçu un coup de fil de mon “rédac chef” qui me demanda gentiment de lui trouver un sujet qui traiterait des loisirs berruyers en cette période de fin juillet. Cela lui permettrait de boucler sereinement la page loisirs de son hebdo à paraître, me dit-il sur un ton engageant, mais qui ne souffrait pas de discussion.
Aussitôt, je me mis donc en quête de trouver un sujet, et c’est tout à fait par hasard que je suis tombé sur le programme du CGR. Par ces chaleurs écrasantes de juillet, je me suis dit que voir un film dans une salle climatisée me donnerait sans doute un peu d’énergie et me permettrait d’observer quelques berruyers en plein loisir. Parlant d’énergie, un film m’attira (malgré sa durée de trois heures), et je portai mon choix sur Oppenheimer de Christopher Nolan. Tout d’abord, le sujet de ce biopic m’intéressait au plus haut point car j’ai toujours été en quête de comprendre comment des cerveaux hyper puissants pouvaient mobiliser leurs “intelligences” et consacrer leurs vies à inventer des armes de destruction massive tout en vivant normalement en caressant la tête de leurs enfants. Pour moi, ça reste et restera un mystère…
Confortablement assis, mon carnet de notes en mains, (professionnalisme oblige), j’assistai en début de séance à une série de spots publicitaires accompagnés d’une bande son si puissante que je me suis demandé si je n’avais pas pris par erreur un billet dédié à une séance pour malentendants ? Dans la foulée, les bandes annonces des futurs films programmés nous furent infligés… Ce ne fut que violences, explosions, débilités immondes sans aucun doute destinées à forger une société bien supérieure à l’intelligence dite artificielle (la fameuse IA) !.
Enfin, les premières images du film Oppenheimer, illuminèrent l’écran. C’est à ce moment, alors que j’étais bien calé dans mon fauteuil, qu’un couple de trentenaires jeta son dévolu sur les places qui étaient à ma gauche. De nombreuses places étaient inoccupées dans la salle, mais les deux cinéphiles semblaient particulièrement tenir à ces sièges là. Poliment, je me levai donc pour leur rendre l’accès possible. Dix minutes après, voici l’homme qui se lève et se dirige vers moi pour sortir du rang. Me voici donc de nouveau debout et cette fois, dérangé et privé momentanément d’image, je perds le fil du scénario qui se déroule. Je me dis in petto : Il a dû oublier d’uriner et vu la longueur du film il doit vouloir prendre ses précautions ? A moins que, et malgré son jeune âge, il ne souffre déjà d’une prostate “de colonel” dont la volumineuse grosseur est proportionnelle au nombres de campagnes effectuées en opex dans le tiers monde… Son temps d’absence bien supérieur au quart d’heure me conforta dans mon expertise médicale et j’en étais presque à moralement compatir avec sa souffrance, l’imaginant en train de pisser au goutte à goutte. Sa compagne ne me semblait ni émue ni inquiète cependant car, sans se soucier de la gêne visuelle qu’elle infligeait à ses voisins de salle elle rédigeait et lisait des SMS sur son portable. Je me suis dit que sans doute prise par le film, elle communiquait en direct avec le CEA de Saclay pour se faire préciser des points relatifs la fission ou la fusion nucléaire ?
Mais que nenni ! Tout à coup, j’entends et vois le prostatique présumé revenir les bras et les poches chargés de victuailles et qui cette fois, force le passage. Immédiatement, ma tension monte en flèche , ce qui est très mauvais pour mon bilan de santé (selon mon docteur).
Son approvisionnement était parfait il faut le dire car ils ont tenu trois heures à grignoter chacun leur litre de pops corn, leurs boissons au sucre et leurs bonbons. Le pire aura été l’ouverture et la fermeture toutes les trente secondes d’un emballage très bruyant contenant des espèces de tiges semi-molles que la demoiselle suçotait avec délectation, laissant un petit bruit de dépression lorsque la friandise échappait à ses lèvres et que la succion s’exerçait dans le vide. Courroucé je lui fis savoir que je souhaitais le silence… Si se yeux avaient été des revolvers je pense qu’à cette heure, je ne serais plus là pour relater ce vécu. Mais ils n’étaient pas les seuls dans la salle à se comporter comme mes olibrius de voisins. En effet, de nombreuses lucioles portatives brillaient dans toutes les rangées de sièges et tous, tels des écureuils, des hamsters, voire des rats, faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour que l’industrie de la malbouffe atteigne des taux records en bénéfices.
En fin de séance, une question me taraudait ! A savoir : Quelle est la motivation de ces personnes qui s’infligent une séance de cinéma pour laquelle est programmé un film relativement long et un tantinet austère ? La quête d’explications sur la physique de haut niveau ? La violence exprimée par l’énergie de la bombe ? Ou bien Rien ! Rien du tout, simplement le Rien et son apparence, l’apparence du vide, le vide total et sidéral …
Un retour aux sources en somme ! Un big bang inversé, un vrai trou noir.
Oppenheimer est peut-être un bon film.... Je prendrai un billet pour une autre séance et je vous le dirai !
> Alain Broglio. Envoyé spécial de gilblog, correspondant aux Cahiers du cinéma.