Cette année, la multinationale Nestlé à cent cinquante ans. À l’occasion de cet anniversaire, le journal suisse Le Courrier rappelle quelques-uns des scandales de la firme dans une suite d’articles. Que ce soit la sécurité alimentaire, les substituts au lait maternel, les crimes commis contre des syndicalistes de Nestlé en Colombie et aux Philippines, le travail des enfants et la gestion de l’eau, Nestlé a bien des choses à se reprocher. Voici le texte complet de l’article consacré à l’eau.
Selon les chiffres de son rapport d’activités 2015, Nestlé détient 52 marques, soit 11% du marché mondial d’eau en bouteille. L’eau en bouteille fait partie des produits phares de Nestlé (profit estimé à 26 milliards d’euros de bénéfice annuel). Or sa production est régulièrement dénoncée pour ses effets environnementaux et sociaux malfaisants.
“Les ONG ont un avis extrême et souhaitent que l’accès à l’eau soit nationalisé, c’est-à-dire que tout humain puisse avoir accès à l’eau. L’autre vision, c’est que l’eau doit être considérée comme une denrée. Et toute denrée alimentaire doit avoir une valeur, un coût”. [Peter Brabeck-Letmathe, président du Conseil d’administration de Nestlé, dans le documentaire We feed the world, 2005].
Parler d’or bleu pour l’eau n’est pas usurpé. Surtout lorsque des sources entières sont thésaurisées, achetées par des privés, qui attendent le bon moment pour les exploiter. Il devient ainsi possible de prélever de l’eau à bas, voire très bas coût. Nestlé paie par exemple moins de 4 dollars canadiens par million de litres pompés pour de l’eau. L'eau est revendue ensuite à plus de 2 dollars le litre. Face à cette privatisation globalisée, la grogne monte.
Le message publicitaire vantant l’eau en bouteille “de meilleure qualité” que celle du robinet est passé. Même dans des pays où l’eau courante est excellente comme en Suisse. Une aberration environnementale puisque l’eau en bouteille présente une charge écologique plus de 450 fois supérieure.
Et, parfois, le problème économique s’ajoute à celui de l’écologie. Les populations vulnérables ne disposant pas d’accès à l’eau potable représentent un marché profitable pour les ventes des géants comme Nestlé. Selon les chiffres de son rapport d’activités 2015, la firme détient 52 marques, soit 11% du marché mondial, et vend pour 7 milliards de francs suisses d’eau en bouteilles chaque année à travers le monde.
À Rockwood, petit village en Ontario, au Canada, Mike Nagy, président de l’ONG Wellington Water Watchers, évoque les problèmes rencontrés par sa communauté face à Nestlé. C’est la version récente d’une histoire maintes fois répétée et dénoncée à travers le monde. Au Canada, un appel au boycott a été lancé contre l’entreprise, accusée d’exploiter des sources malgré la désapprobation des habitants. Mike Nagy passe vite sur le boycott: lui-même a banni les boissons industrielles de ses achats, tant celles produites par Nestlé que par d’autres géants comme Coca-Cola. Mais la démarche divise et n’est pas soutenue directement par son association.
“Chaque jour, Nestlé a le droit de prélever jusqu’à 4,7 millions de litres d’eau pour notre seul aquifère. Ailleurs, ils ont multiplié l’achat de sources d’eau, qu’ils laissent reposer, qu’ils thésaurisent. Leur influence est énorme”. Dans les environs de Rockwood, le prélèvement de millions de litres d’eau en période de sécheresse a causé une levée de boucliers. Depuis, les habitants bataillent juridiquement pour limiter l’accès de Nestlé à leur source, constituée il y a des milliers d’années et donc non renouvelable. Mais la lutte est difficile. “Ils ont de nombreux lobbyistes, ils ont ouvert un bureau d’information, qui a développé un discours auquel personne ne croit, évoquant une responsabilité sociale et écologique. On nous parle des emplois créés mais ces jobs disparaîtront avec l’eau”, redoute Mike Nagy.
“Nous ne sommes pas seuls. Dans le Massachussetts, en Oregon, en Colombie-Britannique, partout Nestlé marque par sa présence. Mais c’est un peu l’histoire de David contre Goliath”. Regrettant que son ONG fasse le travail de prévention qui reviendrait au gouvernement canadien, il se réjouit malgré tout de certains progrès. “On nous écoute enfin, ces prochains mois seront décisifs car de nouvelles lois sont discutées, pour remettre la main sur nos ressources”.
Cette thématique de l’eau est traitée dans le documentaire Bottled life, sorti en 2012 et réalisé par Urs Schnell. Il y dresse le portrait d’une “guerre de l’eau” globalisée. Exemple parmi d’autres, au Pakistan, où la marque “Nestlé Pure Life”– lancée dans les années 1990 pour viser les pays émergents – a déchaîné les critiques. Dans les environs de Lahore, la nappe phréatique s’est subitement abaissée et l’eau des puits devenue insalubre après l’installation de l’entreprise. Tandis que la population locale a éprouvé de plus en plus de peine à s’approvisionner en eau, Nestlé a poursuivi la vente de bouteilles d’eau à 40 centimes de francs suisses le litre, un coût inaccessible pour beaucoup.
De son côté, Nestlé indique n’utiliser que “0,0009% des ressources globales en eau potable”, soit beaucoup moins que l’agriculture par exemple. Et explique avoir mis sur pied des moyens de captation de l’eau moins énergivores, plus respectueux de l’environnement et des populations alentours….
Laura Drompt.
>>> Bonne fête Nestlé. Le Dossier complet publié par Le Courrier.ch. >>> Lien.
Le Courrier. La guerre de l’eau. Vendredi 2 décembre 2016. >>> Lien.