En 2016, l’introduction de cette directive européenne dans la législation française avait soulevé une levée de boucliers qui avait fait reculer le gouvernement. Mais le business voulait sa revanche… Et l’Assemblée nationale vient de remettre en cause une de nos libertés fondamentales. Mercredi 28 mars, une majorité de députés ont adopté par une procédure accélérée, la proposition de loi du parti macroniste “La République en Marche” concernant le secret des affaires (à 46 pour et 20 contre). Le Sénat devrait en débattre le 18 avril. En fera-t-il autant ?
Le 21 mars une tribune, intitulée “La loi sur le secret des affaires est un danger pour nos libertés fondamentales”, et signée par une quarantaine de personnalités journalistiques, syndicales, d’ONG ou de lanceurs d’alerte a été publiée. Dans cette tribune les signataires dénoncent cette loi qui vise à dissuader de révéler au grand jour toutes les magouilles des entreprises (détournement de fonds, danger écologique, ou pour la santé des consommateurs etc), et rappellent que “des scandales comme celui du Mediator ou du bisphénol A, ou des affaires comme les Panama Papers ou LuxLeaks pourraient ne plus être portés à la connaissance des citoyens” (lien pour signer la pétition en bas de cette page).
Le texte de loi porte sur “la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites”. C’est la transposition d’une directive européenne adoptée en 2016 malgré les mises en garde des ONG, des syndicats, des journalistes, des chercheurs et l’opposition des citoyens. Cette directive a été élaborée par les lobbies des multinationales et des banques d’affaires qui veulent l’omerta pour leurs secrets et leurs projets stratégiques, …alors que le vol de documents et la propriété intellectuelle sont déjà encadrés par la loi !
Pourtant, la France dispose de marges de manœuvre importantes pour la transposition de la directive en droit national, et peut préserver les libertés tout en respectant le droit européen. Mais le gouvernement et la majorité ont choisi, en catimini, de remettre en cause l’intérêt général et le droit des citoyens à l’information, au seul profit des entreprises. La proposition de loi sur le secret des affaires a des implications juridiques, sociales, environnementales et sanitaires graves. De fait, ce texte verrouille l’information à la fois sur les pratiques et les produits commercialisés par les entreprises.
En effet, la définition des “secrets d’affaires” est si vaste que n’importe quelle information interne à une entreprise peut désormais être classée dans cette catégorie ! L’infraction au secret des affaires aura lieu dès lors que ces informations seraient obtenues ou diffusées et leur divulgation serait passible de sanctions pénales. Les dérogations instituées par le texte sont trop faibles pour garantir l’exercice des libertés fondamentales.
Avec la loi Macron sur le secret des affaires, les actes malhonnêtes ou scandaleux seront protégés par une espèce d’omerta légale et cachés aux citoyens !
Qu’il s’agisse d’informations sur les pratiques fiscales des entreprises, de données d’intérêt général relatives à la santé publique ou liées à la protection de l’environnement et à la santé des consommateurs, les journalistes, les scientifiques, les syndicats, les ONG ou les lanceurs d’alertes qui rendront publiques de telles informations s’exposeront à une procédure judiciaire longue et coûteuse, que la plupart d’entre eux seront incapables d’assumer face aux moyens dont disposent les multinationales et les banques.
C’est là le sens de cette loi : être une arme de dissuasion massive.
Pour les téméraires qui briseront cette loi du silence, on peut toujours espérer que les tribunaux feront primer la liberté d’expression et d’informer. Mais la récente affaire Conforama indique plutôt le contraire. Les soi-disant garanties proposées par le gouvernement Macron ne couvrent pas tous les domaines de la société civile et notamment le travail des associations environnementales. Ces dérogations ne sont qu’un piètre hommage aux grands principes de la liberté d’informer. Elles ne vaudront pas grand-chose devant une juridiction armée d’un nouveau droit érigeant le secret des affaires en principe, et la révélation d’informations d’intérêt public en exception.
Cette offensive sans précédent sur notre droit à l’information est un enjeu démocratique majeur qui doit mobiliser l’ensemble de la société civile, comme le montre l’intérêt pour la pétition. Lanceurs d’alertes, syndicats, ONG, journalistes, avocats, blogueurs, chercheurs et citoyens : nous devons nous opposer à l’adoption de cette loi. Le droit à l’information et l’intérêt des citoyens ne sauraient être restreints au profit du secret des affaires !
Ainsi, sous prétexte d’assurer “le bon fonctionnement des marchés”, nous n’aurions pas connaissance des mécanismes (exploitation, fraudes fiscales, financements obscurs, dangers écologique et sanitaires, etc) qui permettent de faire n’importe quoi. Et ce serait sous la protection d’une loi !
> Le lien vers la pétition : http://www.stopsecretdaffaires.org
Parmi les signataires : Élise Lucet, Pollinis, Les Amis de la Terre, GreenPeace, Ligue des droits de l’Homme, Syndicat National des Journalistes, Société des journalistes de l’AFP, Société des journalistes du Figaro, Société des rédacteurs du Monde, Société des journalistes de France 2, Société des journalistes et du personnel de Libération, Société des journalistes de BFMTV, Société des journalistes des Échos, Société des journalistes de Premières Lignes, Société des journalistes de RMC, Société des journalistes du Point, Société des journalistes de Mediapart, Société des journalistes de la rédaction nationale de France 3, Société des journalistes de Challenges, Société des journalistes de TV5 Monde, Société des journalistes de Télérama, Société des journalistes du Journal du Dimanche, Société des rédacteurs de La Vie, Société des journalistes de l’Humanité, Société des journalistes de Radio France, Société des journalistes du Parisien-aujourd’hui en France.