2017 est le soixantième anniversaire du débat sur le Traité de Rome à l’Assemblée nationale. En effet, c’est le 18 janvier 1957 que le député Pierre Mendès France mettait en garde contre ce projet inspiré par “un libéralisme du dix neuvième siècle”.
Ce jour là, Pierre Mendès France avait endossé le rôle de Cassandre et alertait les Français contre l’abdication de la démocratie que constituerait la délégation des pouvoirs à une autorité extérieure. L’anniversaire de cette mise en garde, que les médias font mine d’oublier, résonne fortement aujourd’hui, car il est d’une cruelle actualité.…
Commençons par un très bref rappel historique. En 1955, Mendès France a été président du Conseil pendant sept mois. Cet ancien résistant engagé dans les Forces aériennes françaises libres, est devenu commissaire aux Finances puis ministre de l'Économie nationale dans le gouvernement provisoire du général de Gaulle (septembre 1943 - avril 1945). Il laisse le souvenir d’un homme d’État rigoureux, parlant un langage de vérité, compétent en économie, soucieux des comptes publics, respectueux du débat démocratique et agissant pour sortir la France du guêpier de la guerre d’Indochine. C’est cet homme là qui intervient à l’Assemblée nationale dans le débat sur le projet du Traité de Rome. Les députés sont deux cent sept (dont Mendès) qui votent contre la poursuite des négociations sur l’élaboration du Traité, mais trois cent vingt deux se prononcent pour. Le traité est signé le 25 mars 1957, il institue la première communauté économique européenne, composée de l’Allemagne, de la France, de l’Italie, de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg.
Soixante ans plus tard, ces paroles mettent en lumière les défauts du marché commun en des termes d’une brûlante actualité. Ah, si l’on avait écouté Pierre Mendès France !….
Vous trouverez le lien pour le texte intégral de ce (long) discours en bas de page, mais en voici quelques extraits significatifs.
“L’harmonisation doit se faire dans le sens du progrès social, avait affirmé Mendès France, dans le sens du relèvement parallèle des avantages sociaux et non pas, comme les gouvernements français le redoutent depuis si longtemps, au profit des pays les plus conservateurs et au détriment des pays socialement les plus avancés”.
Et de poursuivre : “il m’est arrivé souvent de recommander plus de rigueur dans notre gestion économique. Mais je ne suis pas résigné, je vous l’avoue, à en faire juge un aréopage européen dans lequel règne un esprit qui est loin d’être le nôtre. Sur ce point, je mets le gouvernement en garde : nous ne pouvons pas nous laisser dépouiller de notre liberté de décision dans des matières qui touchent d’aussi près notre conception même du progrès et de la justice sociale ; les suites peuvent en être trop graves du point de vue social comme du point de vue politique”.
“Prenons-y bien garde aussi : le mécanisme une fois mis en marche, nous ne pourrons plus l’arrêter. Nous ne pourrons plus nous dégager. Nous serons entièrement assujettis aux décisions de l’autorité supranationale devant laquelle, si notre situation est trop mauvaise, nous serons condamnés à venir quémander des dérogations et des exemptions, qu’elle ne nous accordera pas, soyez-en assurés, sans contreparties et sans conditions.”
Ce projet de marché commun, résume-t-il, “est basé sur le libéralisme classique du dix neuvième siècle siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes”. Autrement dit, un libéralisme économique qui ruine tout libéralisme politique, imposant la loi de la concurrence à la vie sociale, au détriment des solidarités collectives et des libertés individuelles.
“L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, conclut Mendès France, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement “une politique”, au sens le plus large du mot, nationale et internationale”.
> Rappelons que deux grandes figures de notre Histoire, De Gaulle et Mendés France, ont émis de sérieuses réserves sur la Construction Européenne.
D’autres après eux, comme Maurice Allais, le prix Nobel d’économie, ont fait la même analyse dans les années années 70.
Le débat sur le Traité de Maastricht permit également à Philippe Seguin dans son discours pour la France à l’Assemblée Nationale en 1991, de renouveler les propos de Mendés France.
“Voilà trente-cinq ans que toute une oligarchie d’experts, de juges, de fonctionnaires, de gouvernants prend, au nom des peuples, sans en avoir reçu mandat des décisions dont une formidable conspiration du silence dissimule les enjeux et minimise les conséquences…”
“La normalisation de la politique économique française implique à très court terme la révision à la baisse de notre système de protection sociale, qui va rapidement se révéler un obstacle rédhibitoire, tant pour l’harmonisation que pour la fameuse “convergence des économies”.
Le peuple français a exprimé la même opinion en refusant majoritairement le projet de “Constitution européenne” en 2005.
Bon, inutile d’en rajouter.
> “Association pour une Constituante”. Discours de Pierre Mendès France contre le traité de Rome le 18 janvier 1957 à l’Assemblée nationale. >>> Lien.
Et aussi sur Le canard Républicain. >>> Lien.
> Wikipedia. Pierre Mendès France (1907-1982). >>> Lien.
Source : Marché commun européen, dans Journal officiel de la République française. 19 janvier 1957, n° 3, p. 159-166.