Je devrais intituler cette chronique “Les oubliés de l’histoire”, ce qui serait un moyen de tirer les gens de l’anonymat et de l’effacement. Justement, en farfouillant dans les documents d’archives, je trouve quelques notes concernant Henri Foucher, un natif d’Henrichemont au dix neuvième siècle, un gars qu’on dirait spécialement gâté par la malchance.…
Henri Charles Foucher nait le 10 janvier 1847 à Henrichemont. Il est le fils de Henry Stanislas Foucher, 26 ans, maréchal ferrand, et de Marie-Joséphine Chardeau son épouse.
C’est probablement un gars au caractère un peu chaud, puisque dans son dossier à Rochefort, il est fait mention de sa condamnation à Henrichemont en 1865 à 80 francs d’amende pour “batterie” (bagarre impliquant un groupe de personnes). Mais peut-être a-t-il été mêlé involontairement à cette rixe… ?
Henri Foucher est âgé de 24 ans au moment des événements de la Commune de Paris. Pour quelle raison se trouve-t-il dans la capitale au printemps 1871 ? Est-il venu effectuer un transport ? Probablement pas pour chercher du travail, ça ne serait pas le moment, puisque la capitale subit le siège de l’armée de Versailles et que le chômage sévit. Comme d’autres venus de Vierzon ou de Saint-Amand pour soutenir la Commune, il s’engage dans la Garde nationale fédérée où il est garde au 21e régiment d’artillerie. C’est probablement la raison de sa venue à Paris….
Au cours de la semaine sanglante qui met fin à la Commune de Paris, les troupes versaillaises font 43 522 arrestations (chiffre officiel). Parmi les personnes arrêtées figurent de nombreux insurgés, mais aussi des gens qui se trouvent simplement dans la rue. Henri Foucher fait partie du nombre.
Donc, notre henrichemontais est arrêté le 22 mai 1871 à Paris où il n’a pas de domicile connu, il déclare exercer la profession de cocher. Heureusement pour lui, ses mains ne portent pas de traces de poudre noire, sinon il serait fusillé immédiatement et son histoire finirait là.
Comme la plupart des prisonniers, et selon toute vraisemblance, Foucher est interné à Versailles pour commencer. De là, il sera dirigé vers Rochefort.
Les prisons de Versailles étant bien trop petites, plus de vingt mille personnes seront détenues plusieurs mois dans des conditions très dures, sur des pontons à Brest, Cherbourg, Rochefort et Lorient. On libère quelques prisonniers visiblement innocents, mais il reste à juger 34 952 hommes, 819 femmes et 538 enfants. Les conseils de guerre siègent jusqu’en 1875 et condamnent 10 137 personnes. Les peines s’échelonnent de la peine de mort à la prison, aux travaux forcés et à la déportation en Nouvelle Calédonie (1 169 “déportations dans une enceinte fortifiée” et 3 417 déportations “simples”).
Les convois partent pour La Rochelle depuis la gare de Versailles-Chantiers (environ quatre cent soixante dix kilomètres à parcourir). Chaque convoi comprend environ six cents prisonniers qui sont transportés dans des wagons à bestiaux à raison de trente cinq à quarante par wagon. Il y a des blessés et des malades parmi eux. Des biscuits jetés à même le plancher sont le seul aliment ; et pour boire, il y a un bidon d'eau. Les wagons restent fermés, la chaleur est étouffante, il est interdit de descendre. Les rations d’eau s’épuisent rapidement. Certains prisonniers sont malades, d'autres sont blessés. Les convois stationnent sur des voies de garage pour laisser passer les trains de voyageurs, ils peuvent mettre plusieurs jours pour arriver à destination.
Arrivé à Rochefort, Foucher est admis directement le 24 juin à l’hôpital de sous le numéro 85. Est-ce la suite d’une blessure subie pendant les combats de la semaine sanglante ? Ou à cause des conditions inhumaines du transfert en wagon de Paris à Rochefort ?
Il est transféré sous le numéro 514 le 11 juillet sur la frégate/ponton “La Pandore” équipée pour héberger 545 prisonniers. Les forts maritimes ne pouvant recevoir tous les prisonniers communards, on utilise les quatre navires disponibles dans le port pour en faire des “pontons”, c’est à dire des prisons flottantes. Frégate à voiles à l’origine, puis équipée d’une machine à vapeur, la Pandore ne navigue plus, elle est classée en réserve B de la marine et sert d’entrepôt en attendant la démolition.
Le Ministère de la Marine donne des directives le 26 mai : recevoir mille à mille deux cents prisonnier sous trois jours et autant cinq jours plus tard. Ne faire que les installations strictement indispensables à la garde des prisonniers. Les sabords du navire sont fermés par des planches laissant à peine voir le jour. Les charpentiers construisent des parcs qui tiennent lieu de cages. C’est là que Henri Foucher va vivre durement pendant près de six mois.
Sur les pontons, les prisonniers sont groupés par dix. Le matin le clairon sonne le réveil à six heures. Jusqu'à neuf heures, rangement des hamacs et pliage des couvertures. Corvée de lavage du bateau à grande eau, puis toilette. De neuf heures à midi, promenade sur le pont sous la surveillance de la garde. Après le déjeuner, les prisonniers peuvent monter sur le pont à tour de rôle. Après le repas du soir à sept heures et demie, ils sont enfermés dans leurs cages.
La discipline est sévère. Il est interdit de manifester ou de refuser d'exécuter un ordre. La troupe, appuie ses ordres par des menaces et par les armes.
La ration d’un prisonnier comprend de la viande de bœuf une fois par semaine ; les autres jours, c’est du lard salé. Du fromage remplace le lard quand le médecin le déclare inconsommable. La ration comprend aussi une livre et demie de pain ou des biscuits de mer (espèce de pain sans levain cuit et recuit). Il n’y a pas de légumes verts, mais des haricots. Pour la toilette et la lessive on donne du savon. Sur les pontons les prisonniers boivent dans un grand tonneau rempli d'eau vinaigrée, ils ne reçoivent ni vin, ni tabac. Pour dormir, ils ont un hamac pour deux dans lequel ils sommeillent à tour de rôle.
Ce ne sont pas les autorités maritimes qui s’occupent de l’examen des prisonniers et de leurs dossiers ; des capitaines-instructeurs rédigent les rapports destinés aux autorités militaires de Versailles qui décident du sort des prisonniers.
Après six mois de ce régime, Foucher apprend enfin qu’un non lieu en sa faveur a été prononcé le 2 décembre. Il est libéré le 6 décembre et dirigé vers le 21e régiment d’artillerie à La Rochelle. Ce régiment est ensuite en garnison à Angoulême.
On perd sa trace à partir de cette date, mais il revient à Henrichemont, c’est là qu’il épouse Lucie Marie Jamet. Le 27 janvier 1887, il est inscrit comme déclarant le décès de son père Henri Stanislas, toujours à Henrichemont.
Henri Charles Foucher meurt trois ans plus tard, le 17 mars 1890, à l’âge de quarante trois ans, le cocher est devenu “entrepreneur de messageries”, et veuf de son épouse Lucie Jamet, nous apprend la fiche d’état civil de la mairie.
Bref, en marge de l’Histoire, l’aventure d’un gars d’cheu nous qui était sans doute venu soutenir la Commune.…
> Illustrations de haut en bas. Un cocher contemporain de Henri Foucher. Un ponton prison en 1871. Les cages et les prisonniers du ponton l’Iphigénie.
>> Lire dans gilblog. Emmanuel Delorme, berrichon, chansonnier et communeux. >>> Lien.
La Commune de Paris, 148e anniversaire …et les berrichons. >>> Lien.
> Sources.
Livre de Louis Bretonnière et Roger Pérennès : L’internement des prévenus de la Commune à Rochefort (1871/1872). Archives de Rochefort 2.O -119 & 123.
Archives communales d’Henrichemont.
Ma Commune de Paris, blog de Michèle Audin. >>> Lien.
Sources diverses.