Un titre a attiré l’attention de gilblog dans le site Topito, le “Top 27 des expressions qui nous viennent tout droit du Berry” (13 février 2017). Cette page avait été précédée d’un choix de douze expressions dans le site de l’Office départemental du tourisme “Berry province” le 16 septembre 2016. Je cite : “On parle tout le temps des Bretons et des ch'tis. Cependant on aborde rarement le cas des gars du Berry. Pourtant il le méritent bien vu qu'ils détiennent des expressions bien de chez eux qu'on comprend pas”.
Et voilà les vingt sept expressions assorties de commentaires parfois drôles, mais pas toujours, ni très flatteurs pour les berrichons d’aujourd’hui. On se demande quelle mouche a piqué l’Office de tourisme et “Berry Province” pour qu’ils publient ce truc là. Il est vrai qu’ils nous avaient fait le coup du “Berrysianisme” il n’y a pas si longtemps….
> Bon, voici l’énumération des expressions “qu'on comprend pas” selon Topito. Les commentaires de gilblog sont en italique.
“Berlaud". Un berlaud est un sot, un niais, un idiot, un con, un kéké, quelqu'un de pas très malin ayant été bercé trop près du mur. Vous avez saisi ?
La berlue est une sorte d’éblouissement qui empêche de voir les choses telles qu'elles sont, avoir la berlue signifie aussi juger faussement. Un berlaud est quelqu’un qui a constamment la berlue. Oui, on a saisi, on n’est pas des bazagnas, des baziots, des berda, des berdins, des berlaudiots, des bordins ou des bordiniots !
“Bérouette”. Ce terme désigne un engin à une roue permettant de transporter différents trucs comme du sable ou des cailloux. Mais comme les Berrichons aiment se compliquer la vie, ils ont rajouté un “é”.
N’en déplaise à Topito et à Berry Province, le parler berrichon n’est pas une “complication” inventée par des attardés, c’est tout bonnement du français ancien dit avec la prononciation locale.
“Calon”. Un calon est une noix. On ne saisit pas comment ils en sont arrivés là.
Un calon est une noix pourvue de son brou, ou écale. En français, l’écale est l’enveloppe de certains fruits, noix, noisettes, amandes. On se demande comment le rédacteur de Topito n’a pas su en arriver là, pourtant c’est dans le Larousse.
“Chieuve". Une chieuve est une chèvre. Parfois c'est aussi le chevalet en bois qui supporte les bûches que l'on scie. On arrive pas encore à saisir la règle grammaticale derrière tout ça.
Mon pauvre ami, il n’y a pas de règle grammaticale derrière ça. C’est simplement du vieux français : on dit chièvre dans le Roman de la rose.
“Couâle”. Si Jean de La Fontaine avait été berrichon, il aurait nommé sa fable: “Le Couâle et le Renard”.
La Fontaine aurait écrit “La couâle et le r’nat”, c’est ainsi que Pierre Galliot a intitulé la fable dans “La Fontaine en vieux parler berrichon”. En français, coualer signifie pousser des cris aigus, d’où le nom donné aux corbeaux et corneilles en Berry.
“Essiau”. À Paris s'il n'y a plus de PQ, on dit "donne moi un torchon ça fera l'affaire". À Argenton-sur-Creuse, on dit: “ donne moi un essiau, ça fera l’affaire”.
L’humoriste de service fait mine de croire que les berrichons s’essuient les fesses avec des torchons pour faire comme les parisiens. Essiau vient de essuyau, c’est facile à comprendre. Il n’était pas besoin de ce détour un peu douteux.
"Faire le trempé”. Cette expression signifie "tremper du pain rassis dans du vin". À boire glacé avec un peu de sucre et de l'eau pour les plus délicats. Si on tient le coup, ça peut finir par rafraîchir.
En Berry, le trempé se fait aussi (et le plus souvent) avec du lait bien frais. C’est sans doute pourquoi nous tenons le coup en ces temps de réchauffement climatique.
“Fluber”. Ici on ne parle pas de l'écrivain mais d'un verbe. En effet fluber veut dire "souffler". Encore une fois on est subjugué par cette trouvaille.
En parler berrichon, on employait surtout fluber pour : siffler. En vieux langage, un flubet est un sifflet ou une flûte.
“Froumi”. Là on se dit que c'est juste une faute de frappe car le type était bourré. Oui c'est une fourmi. Ils sont forts ces Berrichons.
Fromi, froumi et fromion (petite fourmi), formi et formion sont des variantes qu’on emploie dans le bas Berry et dans le haut Berry et qui trouvent leur origine dans la langue doc et la langue d’oïl. Rassurez vous, le parler berrichon n’est pas le fait de gens “bourrés”, mais il vient de loin.…
“Gueucher”. Etre monté, grimper sur quelque chose, par exemple : “les poules sont gueuchées sur la chieuve”.
Tout le monde a compris que gueucher a la même racine que jucher.
“Insarvable”. Si on lance sa télévision dans un fleuve, et qu'on la ressort, il se peut qu'elle devienne insarvable. Non ça ne veut pas dire “mouillé” mais “inutilisable".
En effet, tout le monde comprend. Sarvable ou sarviable signifie qu’une chose est utile, qu’elle remplit son office.
“Lambouri”. Alors oui ça commence comme Lamborghini mais non ce n'est pas ça. Lambouri signifie “nombril”, oui le truc qui chope tout le temps des peluches.
Les érudits n’indiquent pas les origines de ce mot. Il restera probablement un des mystères du Berry….
"Ma grand foué”. Cette expression signifie "c'est pourtant vrai". Voilà c’est tout.
Oui, comme “ma foi c’est vrai”.
"Morcio de vio" (ou viau). Encore une fois il y a un souci d’orthographe mais on ne sait pas si c’est de la faute du Berry ou du reste de la France.
Comme le parler berrichon est transmis oralement (ce que Topito et Berry Province semblent ignorer), il est donc inutile de soulever un problème d’orthographe. À l’époque moderne on a simplement écrit ces mots au plus près de leur prononciation.
"Paîte moi pas sur les artous”. "Me marche pas sur les pieds". Là par contre on préfère l'expression berrichonne. On a envie que notre conjoint nous la murmure à l’oreille.
Les artous ne sont pas les pieds, mais les orteils. Artou, pour orteil, est une variante de artoy en vieux français.
“Patter”. Signifie "coller aux pieds", en parlant de la terre. Cela peut aussi vouloir dire traîner ou tarder. Par exemple, ne pas patter sur le chemin. Oui c’est compliqué, on a bien fait de choisir Allemand en LV2 et pas berrichon.
Patter vient de patte, équivalent familier de pied, c’était pas bin compliqué mon ch’ti gars.
"Quincher de la tête”. Pencher, remuer la tête.
En parler berrichon on connaît : quincher, quincer, quinter, guincher et guinchir. On trouve guinchir dans “Le roman de renard”, on savait déjà pencher à l’époque.…
“Reuiller". Quelqu'un qui reuille est quelqu'un qui est perdu dans ses pensées, qui rêve les yeux ouverts. Ça signifie aussi "regarder avec envie une chose inaccessible". Donc si vous rêvez devant quelque chose que vous souhaitez avoir comme des cartes Pokemon, vous double-reuillez.
Reuiller, rœiller, signifie regarder avec curiosité, avec intensité. On dit aussi areuiller, ou arœiller.
"Se renretourner”. Ce mot veut dire "repartir". On vous le dit, rien n'est fait pour se simplifier la tâche. On a l’impression que les Berrichons rajoutent des syllabes exprès pour qu’on comprenne rien.
On dit en Berry se rentourner pour : s’en retourner. En effet, se renretourner doit venir d’un gars qui en re-remet une couche pour qu’on n’y comprenne rien ; comme ceux qui en rajoutent alors qu’il suffit d’en ajouter.
“S’areuiller". À Apremont-sur-Allier, quand les villageois voient un mec ou une meuf canon dans la rue et qu'ils matent, ils s'areuillent pour mieux voir. Autrement dit, ils écarquillent les yeux.
Areuiller, ou arœiller signifie regarder avec curiosité, avec intensité. On dit aussi reuiller, rœiller.
"J’arrête pas de tazonner” Grande spécialité du Berry, le tazon aime tazonner, c'est-à-dire qu'il aime prendre son temps. Il aime être au plus grand des calmes.
En effet, les berrichons emploient souvent tâzon pour dire lambin.
"Où qu’c’est qu’il a mis ses patins ?" Ici on ne parle pas des patins à roulettes, mais bien des chaussons. Car c’est bien connu quand dans des villages comme Mézières-en-Brenne on porte uniquement des chaussons.
En vieux parler, patin désignait, selon les époques et le lieu, galoche, chaussure ou pantoufle.
"Il va tomber un agat d’iau”. C'est pour signaler qu'il va y avoir une forte averse. On est sûr que les touristes qui ont entendu ça ont fini trempés.
Agas est probablement dérivé de aqua, agat viendrait du vieux mot agaster : gâter, dévaster. Chez nos voisins du Nivernais on employait agarser pour dire gâter, endommager.
"Un p’tit pochon”. Dans certains villages dont Chateaumeillant, les habitants aiment tout ce qui est du domaine du sac. Sac en toile ou en papier se sont vus attribuer le doux nom de petit pochon. Si c’est pas mignon cet amour pour les sacs.
En parler berrichon, et pas seulement à Châteaumeillant, une poche est un sac, un pochon est une petite poche.
"Il s’en va tailler la bouch’ture”. Quelqu'un qui s'en va en quête de tailler la bouch'ture va en fait tailler ses haies. D’ailleurs c’est bien connu que le bocage berrichon est considéré comme un des mieux préservés de France.
C’est sans doute pour cette raison que Jean-Louis Boncœur a écrit “Y a plus d’bouch’tures” poème dans lequel il déplorait les effets du remembrement…. Pour la préservation du bocage, il faudra repasser. Au fait, Berry Province connaît-il la différence entre une haie et une bouch’ture ?
"Là, regarde par la bouinotte”. Une bouinotte est une petite fenêtre ou une lucarne. D'ailleurs il existe un magazine qui se nomme La Bouinotte. Intéressant.
Deux fois exact. La Bouinotte est aussi un magazine trimestriel consacré au Berry d’hier et d’aujourd’hui et une maison d’édition qui publie d’excellents bouquins.
“Ça caille pas chaud” Les hivers ne sont pas rudes en Berry mais parfois il fait frisquet et il faut enfiler une petite laine.
Eh oui, ne dit-on pas “chaud comme une caille, réchauffé comme une caille” ?
> Si le sens d’un mot vous échappe, consultez le Petit dictionnaire berrichon de gilblog. >>> Lien.
> Topito. Top 27 des expressions qui nous viennent tout droit du Berry (cette belle région). >>> Lien.
Berry province. 12 expressions typiquement berrichonnes. >>> Lien.
> Les sources de gilblog : “Glossaire du centre de la France” de Hippolyte François Jaubert, et “Le bon vieux français du Berry”, dictionnaire de Pierre Galliot. >>> Lien.