Si vous entendez "chien", vous pensez à votre brave toutou qui fête chaque soir votre retour, ou à l'affreux clébard du voisin qui aboie nuit et jour. Et quand vous entendez "vacances", vous pensez à votre premier séjour merveilleux en Corse avec votre femme. Vous l'avez compris : selon nos expériences personnelles, le même terme suscite des associations d’idées. C'est ce que les linguistes, qui aiment les mots savants, appellent "l'indexicalité". Et cela a des conséquences pas seulement pour les mots, mais également pour les langues, qui elles aussi sont associées à des représentations.
Pourquoi l'anglais a-t-il l'air "efficace", "dynamique", "moderne", alors qu'évidemment, aucune langue ne l'est plus qu'une autre ? "Parce que l'anglais a gagné la bataille de la représentation, au moins temporairement", résume le sociolinguiste James Costa.
En effet, pour beaucoup de Français qui baignent depuis l’enfance dans les films étatsuniens et les séries télé de même origine, l’anglais évoque les États-Unis, donc Hollywood, le far west, New York, les nouvelles technologies .…etc. (Rappelons qu’en 1948, pour obtenir l’aide financière américaine, la France accepte des concessions sur le libre-échange des biens industriels, mais aussi dans le domaine cinématographique. Les États-Unis veulent que les deux tiers des films diffusés en France soient d’origine américaine !). Avec tout ça, on comprend pourquoi les anglicismes sont si répandus en France. Ça n’excuse pas les médias télévisés, ni le CSA censé les contrôler et qui laisse faire… (d’ailleurs, son président Olivier Schrameck vient de se voir couronné du Prix de la carpette anglaise).
Au rythme où vont les choses, les publicités seront peut-être bientôt intégralement en anglais, elles qui signent maintenant avec des slogans en globish. De Apple avec : "think different” à Suzuki : "way of life”. En passant par Sixt : ”boost yourself”, Nissan : "innovation that excites”, United colors of Benetton, Philips : "sense and simplicity”, Bayer : "science for a better life”, Diesel : "fuel for life”, Oasis : "be fruit”. J’arrête, car la liste est interminable.…
Pour bon nombre de journalistes et de publicitaires, dire “Merry Christmas” au lieu de Joyeux Noël, dire “benchmarking” au lieu de comparaison, “fake news” au lieu de fausse nouvelle, "leader" au lieu de dirigeant, "deadline" au lieu de date butoir, newsletter au lieu de lettre d’information, revient à s'approprier une part de l'image des États-Unis (ou se croire dans une tour de Manhattan ?). “C’est dans le pipe”, “on se fait un briefing”, “shooter des mails” ? sont autant de barbarismes nés de la novlangue étatsunienne.
Une expression résume ce phénomène de snobisme servile c’est : “on se met en mode startup”. Aujourd’hui, tout le monde veut se mettre en "mode startup”, mais sans savoir ni pourquoi, ni comment ! Le snobisme de certains leur dit que c’est stylé de parler franglais, et plus on parle n’importe comment, plus on devient quelqu’un d’important.
Et tant pis si ces manies semblent ridicules, voire exaspérantes. “Ceux qui s’adonnent à ces petits jeux se donnent l’illusion d'être modernes, alors qu'ils ne sont qu'américanisés", dénonce Claude Hagège (photo), qui voit là une forme d'autocolonisation inconsciente. Le célèbre linguiste a raison, bien sûr, mais les imbéciles s’en fichent, puisque leur but consiste à se distinguer… quitte à n’être pas compris !
> Librement résumé de l’article de Michel Feltin-Palas “Pourquoi l'anglais a-t-il l'air si moderne ?” l’Express 29/11/2018, et “100 expressions à bannir au bureau” de Quentin Périnel. Éditions Le Figaro 9,90 euros.