Colonel Fabien, Louise Michel, quelques stations de métro portent le nom de héros populaires. Et pas seulement de chefs d'États (Charles de Gaulle) ou de patrons d'industrie (André Citroën), car ce sont les puissants qui laissent leurs marques dans la capitale, leurs palais, leurs hôtels particuliers, leurs statues, les lieux de pouvoir. Il était donc évident, comme l’a fait Lorànt Deutsch avec son ”Métronome”, de partir du métro pour écrire une histoire tout à fait conservatrice (pour ne pas dire royaliste) d'un Paris des dominants, des grands hommes, des propriétaires, et de toute la mythologie qui les accompagne.
Lui et quelques émules de la télé racontent une Histoire à laquelle plus grand monde ne croit vraiment, mais faite de raccourcis, de paresse intellectuelle et de finalités mercantiles. Ils nous révèlent tout ce que nous sommes censés avoir envie de savoir, de la couleur des dessous de Marie-Antoinette aux amours secrètes de tel ou tel monarque, et nous projettent un monde de courtisans. Prétendant vouloir ”faire aimer la France”, ils confondent la transmission de l'Histoire avec le courrier du cœur, faisant au passage le bonheur des passéistes et des conservateurs qui les chérissent.
Pourtant, nombreux sont celles et ceux qui se sont battus pour la liberté, l'égalité, la République, la paix, l'émancipation des femmes; contre le racisme, le colonialisme; celles et ceux qui ont travaillé dans les ateliers et les usines parisiennes, bâti les immeubles de la ville, terrassé les chantiers. Nombreuses et nombreux en effet, mais leurs noms n'ont pas les honneurs du métro.
Si Lorànt Deutsch a pu se saisir aussi facilement du plan de métro de la capitale pour écrire sa fresque nostalgique d’une France ”éternelle” amputée de sa grandeur par la Révolution française, Laurence De Cock et Mathilde Larrère, les auteures de ”Manifs et stations” ont pris le contre-pied en écrivant leur livre. Elles lui ont préféré un Paris populaire, elles ont réveillé des événements ainsi que des acteurs et des actrices absents du récit officiel, en inscrivant leur ouvrage dans la réjouissante dynamique d’une Histoire émancipatrice.
Dans Manifs et Stations, Laurence De Cock et Mathilde Larrère remettent l’histoire sur ses pieds. Contre les chantres du roman national et des ”grands hommes”, elles proposent de montrer comment les rues et les monuments de la capitale ont été le théâtre de la lutte des habitants, anonymes et ordinaires.
Elles retracent l’histoire de celles et ceux du métro, cheminots et cheminotes. La première ligne s’ouvre au public en 1900 et la première grève de trois jours a lieu en 1901. Il s’agissait (déjà) de réintégrer trois agents licenciés et de reconnaître la légitimité d’un syndicat CGT. La tradition revendicatrice est profonde et répète, à chaque mouvement, la fierté du métier, le sens du service public. Les auteures s’arrêtent ensuite sur les quelques cas où des prolétaires ont les honneurs du métro. La station Jules-Joffrin, dans le XVIIIe arrondissement, porte le nom d’un des rares députés ouvriers, objet d’une haine sociale sans concession dans l’Hémicycle. Martin Nadaud, le député ancien maçon de la Creuse et révolutionnaire de 1848, n’est plus que le nom d’une station fantôme dans le XXe. Louise Michel s’impose dans le fief des Balkany, souvenir de l’après-guerre, quand la commune communiste de Levallois-Perret honorait la Commune de 1871.
Elles signalent les stations marquées par l’histoire, comme le massacre de Charonne du 8 février 1962. Mais elles évoquent aussi le Paris des ouvriers et ouvrières, des coopératives comme la Bellevilloise, des bibliothèques populaires telles que celle des Amis de l’Instruction, des cliniques des métallurgistes comme celle des Bluets, où le docteur Fernand Lamaze introduit en 1955 l’accouchement sans douleur ; le Paris des révolutions du faubourg Saint-Antoine, des manifs sur les Champs Élysées, des grèves de munitionnettes à l’usine Citroën de Javel, des meetings socialistes et pacifistes du Pré-Saint-Gervais ; le Paris des résistants et des résistantes, telle Madeleine Riffaud, qui tue un officier allemand pont de Solférino pour venger les morts d’Oradour-sur-Glane. Tant d’histoires dans l’Histoire, tant de noms méconnus….
Bien que méconnue, cette autre Histoire là existe autant que l’Histoire officielle ; avec Manifs et stations, Laurence De Cock et Mathilde Larrère en font la démonstration.
> Les personnages cités dans ce livre font tous l’objet de notices biographiques parues dans le ”Maitron”, fameux dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. ”Osons le Maitronome plutôt que le métronome !” s’exclament les deux auteures…
> Laurence De Cock est historienne et enseignante. Spécialiste des questions pédagogiques et didactiques, elle est l'auteure de Sur l'enseignement de l'histoire et a coordonné plusieurs ouvrages. Mathilde Larrère est historienne, spécialiste des révolutions, et enseignante à l’université Paris Est-Marne-la-Vallée. Elle a publié plusieurs ouvrages, dont Il était une fois les révolutions.
> Rendons justice aux vraies auteures, cette page est entièrement composée avec des extraits de l’avant propos du livre Manifs et stations et d’un article dans Politis.. Le plan du métro est emprunté au site web du Maitron, il conduit aux notices biographiques du dictionnaire. C’est une occasion de faire connaissance... >>> Lien.
> Manifs et stations. Le métro des militant-e-s. Par Laurence De Cock et Mathilde Larrère. Éditions de l’Atelier. Un livre broché. 208 pages. Illustrations. Format 13X21 centimètres. Prix: 16 euros. En vente à La Poterne 41 rue Moyenne, Bourges.