On sait que la bande dessinée, si elle est bien faite, peut aborder et éclairer les sujets de société, comme en attestent l’excellent album Algues vertes, l'histoire interdite de Pierre Van Hove et Ines Leraud, et Le journal dessiné qui réunit des auteurs et dessinateurs de talent. Cette fois c’est le chômage de masse qui ronge la France depuis quarante ans qui est le sujet du livre (remarquable, disons le tout de suite) de Benoît Collombat et Damien Cuvillier.
“Le choix du chômage”, un livre d’une brûlante actualité sur le choix des dirigeants français et européens, de sacrifier l’emploi… et les effets dévastateurs de ce choix depuis le début des années 1980 jusqu’à aujourd’hui.
Dans ce gros album, Benoît Collombat, journaliste à France Inter, et le dessinateur picard Damien Cuvillier ont procédé à une enquête fouillée, documentée, riche des témoignages d’anciens ministres, de conseillers de présidents de la République, d’anciens directeurs du Trésor ou du FMI, de banquiers, d’économistes, de juristes, de sociologues et de philosophes… sur ce qui a fait basculer les choses.
Avec Le choix du chômage, le lecteur saura comment et pourquoi les hommes politiques ont “remis les clés“ de l’organisation du monde à l’économie et à la finance. Ce basculement repose sur la victoire d’une conception politique : le néolibéralisme, pour qui le rôle de l’État est avant tout de servir le marché.
Dans ce livre, tout est documenté, tout est sourcé, déclare Benoît Collombat. Nous avons ajouté au livre une bibliographie assez conséquente pour ceux que cela intéresse. Encore une fois, comme le dit un de nos interlocuteurs : “Rien n’est caché mais tout n’est pas vraiment connu.”
On a parfois l’impression qu’il s’agit d’un grand mouvement mondial dans lequel on a été embarqués, comme si l’on ne pouvait rien faire, alors qu’il y a eu des gens qui ont fait des choix pour en arriver là où nous en sommes. Une des révélations du livre, c’est la note de la banque JP Morgan, en 1987, une véritable pièce à conviction du choix pour le chômage… Elle montre, d’une manière très cynique que cette note se satisfait d’un taux de chômage de 11 %, en soulignant que cela est très bien car ce nouveau dogme entraînant plus de chômage éteint les revendications sociales, écrase les salaires et donc empêche l’inflation, et que l’on reste dans le couloir des options jugées “raisonnables”.
Derrière les formules censées incarner “la modernité”, c’est toujours la même idée : l’ordre social passe par la stabilité monétaire, tandis que les individus doivent s’adapter au marché du travail. Cette idée s’incarne parfaitement dans une scène dessinée par le talentueux Damien Cuvillier : en mars 1980, Raymond Barre se fait interpeller lors d’une réunion publique par des manifestants qui lui lancent : “Nous avons deux millions de chômeurs et c’est intolérable". À quoi le premier ministre répond : “Les chômeurs pourraient essayer de créer leur entreprise au lieu de se borner à toucher les allocations de chômage !” Cette scène nous renvoie évidement à la petite phrase d’Emmanuel Macron qui affirmait en septembre 2018 “Il n’y a qu’à traverser la rue pour trouver du travail…”
Quelles personnalités sont à l’origine de ces grands choix économiques ? Quel rôle a joué la construction européenne ? L’enquête de Benoît Collombat et Damien Cuvillier apporte des réponses et des noms. Aujourd’hui, l’épidémie du coronavirus et le délabrement de l’Hôpital public montrent bien l’urgence de s’interroger sur ces choix politiques et économiques.
Avec ce livre, les auteurs ne prétendent pas apporter des solutions clefs en main. Ils souhaitent rendre cette histoire visible et lisible afin que chacun se l’approprie et que le débat public ne soit plus bloqué par une minorité “d’experts” médiatiques. Il faut sortir de l’intimidation intellectuelle qui affirme que ce sujet serait trop compliqué pour le grand public.
Inutile de préciser que gilblog vous recommande chaudement ce livre !
> “Le choix du chômage” Par Damien Cuvillier et Benoît Collombat. Éditions Futuropolis. 288 pages. Couverture cartonnée. Format 20 x 27 centimètres. Prix 26 euros. À La Poterne, 41 rue Moyenne, Bourges et dans toutes les bonnes librairies.