Le mari de la sorcière.

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Si vous avez lu mon livre Histoires Vraies, Sornettes et Menteries du Haut Berry, vous connaissez l’histoire d’Angèle, la sorcière du Grand crot, pas loin de La Borne d’en Haut. Vous savez déjà que le héros de ce conte, Antoine Desselles de Lanasse est né le 6 avril 1802 au manoir de Béranlure dans la commune de Marigny-en-Sancerre face aux coteaux de Saint-Vignol. Descendant d’une lignée de gendarmes dans la garde du roi, le destin l’avait détourné d’une carrière toute tracée et il s’était engagé dans la Légion pour oublier un chagrin d’amour. Revenu dans sa famille sept ans plus tard, il entra dans l’administration fiscale où il fit carrière. Devenu receveur des Finances à Sancerre, il s’intéressa à l’étude des mœurs paysannes, et se mit à recueillir les trésors de la tradition orale et rédigea de nombreux travaux sur le Haut Berry pour les sociétés savantes. 
Maintenant que l’essentiel est dit, nous pouvons tourner la page des préambules et commencer par le commencement. 

Lors de ses conversations avec Angèle, la sorcière du Grand crot,  Antoine n’avait pas eu connaissance de l’existence de sa fille, car la fille d’Angèle ne vivait plus là. Et puisque nous sommes dans les commencements, sachez que la fille d’Angèle se nommait Angélique. Un nom de plante et un nom d’ange, une malice du genre de celles qu’affectionnent les sorciers pour tromper leur monde. Mais ça n’avait servi à rien car elle n’avait pas voulu prendre la suite de sa mère. Elle avait le don mais refusait d’en user. Du coup, la mère et la fille se voyaient peu.

Finalement Angélique avait bien fait de conserver ce prénom qui signifie : pareille à un ange ou messagère des anges. Un prénom digne de sa mère Angèle, la sorcellerie en moins. Car tout est bon dans l’angélique, les pétioles des feuilles confits font de bonnes pâtisseries. Les jeunes feuilles aromatisent les plats aussi bien que le persil. Les graines et les pétioles font des liqueurs. En tisane ou en décoction les feuilles ou la racine guérissent les troubles digestifs et le manque d’appétit. Avec de telles qualités et avant même qu’il l’ait vue et entendu un seul mot de sa bouche, Antoine ne pouvait que tomber sous le charme d’une femme portant le nom d’Angélique….Et c’est justement ce qui se produisit. 

La rencontre d’Antoine et Angélique eut lieu à Sancerre lors d’une soirée organisée par les bonnes gens de la ville au profit de l’école du Bon Samaritain où elle était institutrice. 
Il faut dire qu’Antoine avait de la prestance, que ses années de Légion avaient un peu buriné son visage, et que la blessure de son chagrin d’amour lui donnait un air rêveur qui faisait vibrer une corde sensible chez les dames.
Donc ils se plurent. La conversation se prolongea jusqu’à la fin de la soirée. Ils se revirent. Ils se racontèrent leurs vies. Ils se revirent souvent et de plus en plus, et se déclarèrent l’un à l’autre. Ces accordailles devaient finir en épousailles, vous l’aviez deviné..…

Les cloches de Marigny-en-Sancerre et celles de la chapelle du petit manoir de Béranlure sonnaient à toute volée pour célébrer le mariage d’Antoine, le receveur des finances, et de la belle Angélique. Le cortège longea la rivière du Vieux moulon en se reflétant à la surface des eaux. Que la mariée était belle dans sa longue robe blanche et sa silhouette bien tournée ! Antoine était si fier de l’avoir à son bras ! Mais comme les noces eurent lieu un peu avant l’invention de la photographie, je n'ai pas d'image à vous montrer.

Nos deux tourtereaux emménagèrent dans le petit manoir flanqué de deux jardins, auxquels Angélique passait une partie de son temps. D’un côté un potager auquel s’ajoutait un carré d’herbes rares, de l’autre côté un jardin de fleurs, qu’elle cultivait tous les deux avec soin. Elle faisait des soupes, des potées, des confitures, des philtres, des potions, des tisanes et des onguents avec une égale aisance. Le médecin de Marigny-en-Sancerre lui envoyait des villageois pour qu’elle complète ses traitements par des tisanes bienfaisantes. Angélique faisait l’école dans une petite pièce du manoir pour quelques enfants du village. Chaque semaine elle faisait des bouquet du jardin qu’elle déposait au pied de l’autel de l’église de Marigny-en-Sancerre. …Et elle faisait très bien le poulet en barbouille et les haricots à la vigneronne.

Villages de sorciers du Haut Berry-A

Ainsi marié à une femme aussi belle que sage, Antoine était heureux. De son côté, il faisait son travail avec constance, il conseillait les gens avec bienveillance et continuait à noter les coutumes populaires qu’il découvrait dans ses petits carnets de molesquine. Ainsi mariée à un homme aussi aimant que sage, Angélique était heureuse.

Or, une nuit, réveillée par un mauvais rêve, Angélique alluma la chandelle et tâtant le drap froid à ses côtés, constata que la place était vide ! 
Elle fut vite levée et chercha dans toute la maison en commençant par le bureau où Antoine veillait parfois, puis dans la cuisine, elle appela, fit le tour des jardins, examina tous les rabicoins. Pas d’Antoine. Elle se recoucha, décidée à attendre, l’œil grand ouvert, le retour de son mari. Puis elle finit par s’endormir.

Au matin, Antoine était là, souriant et tendre.
— 
Où étais-tu cette nuit ? lui demanda-t-elle. Je t’ai cherché dans toute la maison au dedans et au dehors 
— Moi ? Mais je n’ai pas bougé du lit, j’ai dormi… Tu as fait un rêve… 
Angélique regarda son mari, son air reposé, ses cheveux un peu défaits, son expression candide. Comment avait-elle pu rêver cette absence ? C’était inexplicable. Troublée et soupçonneuse, elle ne fit rien paraître de son émotion et décida d’observer.

Le soir, elle essaya de garder les yeux ouverts pour surveiller Antoine, mais la journée avait été si bien remplie que la fatigue finit par l’emporter. Et quand elle se réveilla de nouveau en pleine nuit, Antoine avait à nouveau disparu ! Non, il ne lui ferait pas croire qu’elle avait fait un rêve. Elle attendit, attendit, mais finit par s’endormir… Pour trouver à son réveil son mari calme et souriant… Cette fois, c’était trop fort ! Elle voulait savoir !

La journée suivante, Angélique se fit une tisane plus puissantes que le café et le soir venu, fit semblant d’être abattue de fatigue. Elle posa la tête sur l’oreiller et feignit de dormir profondément. Antoine se pencha sur elle et prit sa main qui retomba lourdement sur l’édredon. Alors, Angélique, entre ses paupières mi-closes, le vit se lever, sortir de la chambre sur la pointe des pieds et aller silencieusement vers la cuisine. Elle se leva à son tour et le suivit sans bruit.

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Elle s’arreuilla d’étonnement en le le voyant ouvrir la porte du cafourniau, puis saisir le balai de genêts et l’enfourcher en disant : ”sabbat blanc, sabbat noir, balai blanc, balai noir, mène-moi là où tu dois de par le diable, au delà du feu et des eaux, au delà des plaines et des montagnes, par dessus les épines et les bois”. À ces mots le balai s’éleva et emporta Antoine par le conduit de la grande cheminée. Angélique courut à la fenêtre et le vit s’éloigner dans le ciel, les cheveux ébouriffés éclairés par la pleine lune. Après cette révélation, Angélique ne put trouver le sommeil. Qui était donc vraiment Antoine ? Quelle ruse cachai-il ? Comment avait-elle pu, elle une sorcière, épouser un sorcier sans s’en apercevoir ? Puis elle finit par s’endormir d’un mauvais sommeil, malgré les tisanes qu’elle avait ingurgitées…

À son réveil, Antoine était là, aussi calme et souriant que l’autre matin. 
Aussitôt qu’il fut parti pour Sancerre, Angélique se rendit chez le balaîtier de la forêt et fit l’emplette d’un balai de genêts au manche solide. Le soir, elle usa de la même ruse que la veille et, alors que son mari la croyait endormie, elle le suivit, le vit à nouveau enfourcher un balai et s’envoler dans la nuit. Angélique enfourcha à son tour son balai de genêts tout neuf, dit à son tour la formule magique et suivit Antoine dans son vol. L’une suivant l’autre, ils passèrent au dessus du carroir de Marloup, survolèrent Crézancy, Hoisy, Neuvy les deux Clochers, le Carroir tortu du Grand crot, avant de bifurquer vers Veaugues. Sachez que le vol sur un balai n’est pas très rapide et laisse du temps pour l’observation, ce qui évite d’accrocher le sommet d’un grand arbre ou un coq de clocher. Et comme la lune était encore pleine, on pouvait voir distinctement la campagne et les villages. C’est justement à cause de la pleine lune que la suite de l’histoire se produisit.

Pour une raison que j’ignore, Antoine tourna la tête vers l’arrière et vit, dans la blancheur lunaire, Angélique sur son balai. De surprise il fit un mouvement brusque qui déclencha un vol en piqué et manqua le désarçonner. Le balai et son cavalier tombaient maintenant vers le sol. Retrouvant son sang-froid, Antoine improvisa une formule magique ”sabbat blanc, sabbat noir, balai blanc, balai noir, redresse toi comme tu dois de par le diable”. Mais ça n’était pas la bonne formule magique, car il piquait toujours vers la terre. 
Surprise par la chute de son mari, Angélique perdit elle aussi le contrôle de son balai qui se mit à tournoyer de façon désordonnée, comme s’il voulait rattraper l’autre. 
Bardada ! Antoine et Angélique tombèrent en même temps dans un bosquet de prunelliers qui amortit leur chute mais les cribla de piqures d’épines et d’égratignures douloureuses ! Abasourdis, ensanglantés, les habits déchirés de toutes parts, ils avaient piteuse allure...

Voila de brûlantes retrouvailles, s’exclamèrent-ils ! Et que fais tu là ? Et toi, que fais tu là ? Aïe, aïe, aïe, et tous nos onguents sont à Béranlure !!! Antoine avoua alors à Angélique que mordu par la curiosité et voulant en savoir toujours plus sur la sorcellerie, il avait tenté le vol sur balai pour voir d’en haut les villages de sorciers et noter les détails dans son précieux carnet de molesquine. Mais après cette expérience cuisante, je te promets que je ne le ferai plus, ajouta-t-il !

Satisfaite de cet aveu, Angélique pardonna illico. Puis, toujours pleine de bon sens, elle déclara : Montons sur nos balais une dernière fois, ce sera mieux que revenir à la maison à pied et dans cet état !

Ainsi fut fait, et depuis leur retour, les deux balais restèrent dans le cafourniau où ils se couvrirent lentement de poussière. 
De leur côté, Angélique et Antoine continuèrent à filer le parfait amour en toute discrétion, si bien qu’on ne parle plus d’eux à c’t’heure.


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