Les nouvelles histoires de Berlaudiot.
L'Anatole Moreau revient du moulin, des sacs pleins de froment fraîchement moulu sur le bât de ses ânes. Avant son départ, Anatole a avalé une chopine de blanc offerte par Baptiste le meunier : la poussière du moulin et le chargement, ça assèche le gosier.
Baptiste lui donne un conseil : "si tu voué Marlou, le camus (sorcier) quand tu pas'ra d'vant sa maison, salue le bin bramment. Des foué qui s'rait mal luné..."
Suivant le chemin, le petit convoi passe au carroir Grison devant la demeure de Lucien Marlou, le camus. Et Marlou regarde Anatole avec un drôle d'air. Anatole le salue bin coum' y faut et lui fait bonne figure, il ne veut pas risquer un sorcelage. Enfin il arrive au sommet de la colline qui domine La Charnivolle et fait une halte.
Avant de livrer le boulanger qui attend sa farine, il vérifie les sacs, il les compte, puis se met à compter les ânes. Mais il n'en trouve que huit. Sautant de sa monture, il cherche partout, mais aucun âne manquant n'est visible aux alentours. Il compte de nouveau et en trouve neuf, cette fois. Enfourchant son âne, il repart rassuré.
Un peu plus loin, saisi par le doute, Anatole s'arrête et compte à nouveau ses ânes : un, deux, trois, et il s'arrête à huit. Pas de neuvième âne en vue ! Il s'areuille comme un berlin, regarde par dessus la bouchture, pas l'ombre d'un âne. De nouveau il compte, debout près de ses ânes. Cette fois ils sont neuf....
"C'est ti la chopine de blanc qu'jon liché cheu l'meunier qui m'joue des tours ? C'est ti que j'deviens fou ? C'est ti que l'camus y ma j'té un sort ? Ou bin yeu z-ânes y sont ti ensorcelés d'naissance ? "
Il se sent un peu soulagé quand il aperçoit Berlaudiot qui arrive sur le chemin.
"Dis Berlaudiot ! T’as ti vu un de mes ânes ? Un coup j’ l’on pardu, et pi l’aut’ coup il’tait pu pardu… ."
"Qui don qu'tu veux dire, Anatole ?" demande Berlaudiot.
"J'on quitté le moulin avec neuf ânes, explique l'Anatole. Au début d'mon ch'min y en avait neuf, j'on croisé l'camus, et pi après y en avait pu qu'huit et pi l'dernier il est pas r'venu pour vouér" !
Berlaudiot, qui ne croit pas à la sorcellerie, compte les ânes et en trouve neuf.
"Mont' moué donc comment qu'tas compté tes ânes", dit-il à Anatole.
"Un, deux, troué", commence ce dernier, et il compte jusqu'à huit. S'arrêtant à huit, terrifié, il lève les yeux et voit Berlaudiot en train de rire aux éclats.
"Qui qu'y a donc de risib' Berlaudiot ?" demande Anatole.
"Eh Anatole, quand tu compte tes ânes, pourquoi qu'tu comptes pas çui où qu't'es monté d'sus ?"
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