La Borne. L'étincelle qui a allumé le feu.

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En 2012, le Musée de Sèvres a consacré une importante exposition à l'oeuvre de Jacqueline Lerat, et le prestige de cette manifestation à rejailli à juste titre sur La Borne. Mais en général, et faute d'information, le public a l'impression que La Borne est passée du stade de la poterie usuelle traditionnelle (comme on la voit au musée de la poterie), à celui du métier d'art de la céramique d'aujourd'hui. Cela semble être le résultat d'une évolution "naturelle", d'un changement progressif et banal... Eh bien, il n'en est rien ! C'est au contraire une belle histoire, celle d'une aventure artistique exceptionnelle dont on ne soupçonne pas l'importance dans notre région. En voici un bref aperçu. J'espère que sa lecture vous donnera l'envie d'en savoir plus.

Années quarante, la France est coupée en deux : la zone nord est occupée par les armées allemandes, le régime de Vichy gouverne la zone sud. À La Borne, à cause de la pénurie, la poterie traditionnelle en déclin (il ne reste que sept potiers) connaît une certaine reprise, l’eau, l’argile et le bois sont en abondance, on tourne, on rallume les grands fours couchés. C'est aussi le moment "choisi" par un nouveau genre de pionniers pour s'installer à La Borne. Ils sont une poignée de créateurs nourris aux formes et aux styles artistiques de l'entre deux guerres (arts populaires, art sacré, "art déco", style roman....). Avec un zeste de romantisme, un zeste d'esprit aventureux, ils viennent à la rencontre de la poterie traditionnelle et des grands fours à bois et s'imprègnent des gestes et du savoir des anciens. Les réquisitions allemandes créent des conditions de vie difficiles, nos artistes jeunes et vieux, connaissent le rationnement, les privations et une vie très spartiate. Jean Lerat travaille pour l'éditeur François Guillaume, Paul Beyer est envoyé par la Manufacture de Sèvres, ils sont rejoints par Jacqueline Bouvet, André Rozay  (qui vit en clandestin pour échapper au STO), puis Vassil Ivanoff. 

Ces créateurs, céramistes et sculpteurs formés par les écoles de Beaux Arts, vont renouveler le langage plastique de la céramique au contact de la tradition potière et de la cuisson au bois. Ils élèvent la céramique au niveau d'un art majeur. Artistes hors du commun, ils vont tenter et réussir la synthèse de l'art moderne et de la tradition du grès, une approche libre et rajeunie de l'art céramique qui va se développer dans les années cinquante et soixante. 

En peu de temps, La Borne devient un foyer de création d'une grande diversité de styles, mêlant la tradition aux influences cosmopolites, accueillant de fortes personnalités, c'est le début d'une espèce de Montparnasse de la céramique (comparaison un peu excessive mais qui illustre le phénomène). Et la tendance est toujours vivace en ce début du vingt et unième siècle. 

> Toute cette aventure doit beaucoup à la "détermination de pionnier" qui animait un homme aujourd'hui un peu oublié : François Guillaume. À la fois commerçant, éditeur d'objets d'art à Bourges et collectionneur, François Guillaume manifeste dès les années vingt, un intérêt profond pour les céramiques régionales. En juin 1935, il organise la toute première exposition de grès de La Borne dans ses locaux, rue des Arènes à Bourges, avec l'ambition de faire connaître la poterie régionale.

L'exposition est saluée dans la presse régionale et nationale. Mais une appréciation d'une bien plus grande portée, est exprimée par Georges-Henri Rivière, créateur du tout nouveau musée des Arts et Traditions Populaires. La Borne est désormais considéré comme un sujet de recherche. Des pièces de la "Tradition Imagière" vont bientôt figurer dans les grandes collections et les Expositions, et nationales et internationales. Par exemple l'exposition "Potiers et Imagiers de France", organisée en 1937. Et aussi "l'Exposition Internationale des Arts et Techniques de la vie moderne". 

Chez François Guillaume, des produits de La Borne faits sur dessins d'élèves des Beaux Arts sont exposés à côté des oeuvres de Guillaume lui même. Ces dernières sortent de la "boutique" d'Armand Bedu avec lequel le jeune François Guillaume a créé des liens d'amitié. Grâce à ces deux tempéraments soucieux de modernisme, la formule commerciale "Guillaume dessine et Bedu fait" devient un succès au magasin de la rue des Arènes.

Bien qu'elles soient de style moderne, ces pièces sont d'abord utilitaires, mais François Guillaume a une autre aspiration pour l'avenir de La Borne. Il aimerait que la "tradition imagière" puisse, au sens moderne, connaître un renouveau. Et si la "tradition imagière" doit revivre, ce n'est pas d'un potier dont il a besoin mais d'un "imagier". C'est alors qu'il décide Jean Lerat, "sculpteur-modeleur", à "renouer avec la tradition des anciens faiseurs de figurines", en "créant avec Ia terre de La Borne de vrais objets d'Art".

Jean Lerat apprenant et travaillant avec Armand Bedu dans sa "boutique", puis dans l'atelier qu'il loue pour lui, Guillaume espère que d'autres, venus de l'extérieur du village seront encouragés à l'imiter..... 

> Le rêve de François Guillaume va bientôt prendre forme, et sans doute au delà de ce qu'il avait imaginé. En effet en quelques années, La Borne va devenir le lieu d'un incroyable foisonnement artistique. Des vagues successives d'hommes et de femmes talentueux rejoignent La Borne, ils sont sculpteurs, potiers, designers et sculpteurs décorateurs. Elisabeth Joulia (1949), Pierre Mestre (1947) avec Gütte Eriksen, Claudine Monchaussé (1959), Anne Kjarsgaard (Danemark), Yves Mohy, Jean Linard, Françoise Quiney, Claude Gaget, Pierre Digan, Christine Pedley (Grande Bretagne), Janet Stedman (Grande Bretagne), Steen Kepp (Danemark), Charlotte Poulsen (Danemark), Svein Jensen (Norvège), Hervé Rousseau, Brigitte Marionneau, Éric Astoul, Alain Girel....  Et le mouvement se poursuit encore.

> En 1962, avec Yves Mohy, Pierre Mestre et Claudine Monchaussé, André Rozay crée l'amicale des potiers (préfiguration de l'actuelle Association des céramistes) qui organise sa première exposition dans l'atelier d'un charron à l'entrée du village. L'exposition toujours renouvelée se tiendra régulièrement. Quelques années plus tard, l'amicale devient en 1971 l'Association des potiers de La Borne et dépose ses statuts. 

Cette association d'artistes très active organise des expositions, des symposiums, des rencontres internationales. Elle est unie dans un projet en faveur de l'art céramique et pour un vaste public : une belle maison pour exposer les oeuvres des créateurs bornois et internationaux et mettre l'art à la portée de tous. Le premier projet de Centre de Céramique, est imaginé par  Alain Girel (alors président de l'association) en 1975 ou 76, et poursuivi par l'association durant les décennies qui suivent. C'est ainsi que de nouveau en 1992 et les années suivantes, l'association présente et re-présente son projet aux élus du Cher, mais en vain. Il semble que, sauf rares exceptions, une grande ignorance de l'importance artistique et culturelle de La Borne soit un de leurs points communs. Enfin, en 2006 grâce à une poignée d'élus locaux, la situation se débloque, on lance une étude de faisabilité, le nouveau Conseil municipal d'Henrichemont offre le terrain de l'ancien Centre céramique, le Conseil général décide de soutenir le projet, la Communauté de communes Hautes terres en haut Berry sera propriétaire du bâtiment. L'association conçoit le cahier des charges, on choisit un architecte, et après les études et les travaux, le nouveau Centre de création céramique contemporaine ouvre le 10 avril 2010.

> Nous sommes au début du vingt et unième siècle, la création à La Borne est toujours vivante et toujours en mouvement. Avec l'amour du métier, une existence parfois difficile mais aussi un certain art de vivre, l'activité des céramistes et de leur association se poursuit malgré la crise. Les créateurs d'aujourd'hui sont bien les continuateurs de l'oeuvre des "pionniers" des années quarante et de l'intuition de François Guillaume. L'étincelle pétille toujours.

> Photo de gauche à droite et de haut en bas : Jean et Jacqueline Lerat, Paul Beyer, André Rozay, Vassil Ivanoff. 

> Le paragraphe sur François Guillaume est résumé d'un article de Patrick McCoy (page 37 de l'ouvrage "Les éditions Guillaume, 1925 – 1950"). Patrick McCoy est l'auteur d'une passionnante étude sur la renaissance de la poterie de grès à La Borne (en anglais) que vous pouvez lire sur le web. >>> Lien.

DocAntic. Paul Beyer. >>> Lien.

Wikipedia. Jean et Jacqueline Lerat. >>> Lien.

Berrypédia. André Rozay. >>> Lien.

Wikipedia. Vassil Ivanoff.  >>> Lien.

Lire : Paul Beyer par Marc Ducret. 224 pages. 185 photos. format 17 x 24 cm Éditions "Beau Fixe". Lyon. 2006.

Jean et Jacqueline Lerat, une vie sur terre. Par Bernard Noël, Bernard Dejonghe et Gérard Capazza. 112 pages format 22 x 29 cm. Couverture cartonnée. Éditions Galerie Capazza. 2012.

Et bien sûr : Potiers d’aujourd'hui au pays de La Borne. Par Robert Chaton, avec la collaboration d'Henri Talbot. Illustrations de André Rozay. Éditions Delayance, La Charité sur Loire 1980. 156 pages format 20 x 21 cm. Broché. Chez les bouquinistes.

La Borne et ses potiers, un village pas comme les autres. Par Robert Chaton, avec la collaboration d'Henri Talbot. Illustrations de André Rozay. Éditions Delayance, La Charité sur Loire. 1977. 200 pages format 23 x 15 cm. Broché. Chez les bouquinistes.

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