En cette année qui fête les soixante dix ans de la décentralisation dramatique, un film de Daniel Cling conte cette aventure avec celles et ceux qui l’ont vécue, comédiens, metteurs en scènes, techniciens, auteurs. C’est “Une aventure théâtrale. Trente ans de décentralisation”, que Double Cœur vous invite à voir Mardi 29 mai à 19h30 au cinéma CGR de Bourges.
À la Libération, Jeanne Laurent (sous-directrice des spectacles et de la musique à la direction générale des Arts et Lettres), lance la première politique de l’État pour “sortir” le théâtre de Paris et re-dynamiser la création. Elle s’appuie sur le réseau de l’éducation populaire et des metteurs en scène comme Dullin, Clavé, Jean Vilar, Dasté, Jouvet…
Jeanne Laurent, femme brillante et engagée, participe à la renaissance du Théâtre national populaire et à la fondation du festival d’Avignon par Jean Vilar. Elle crée les premiers centres dramatiques nationaux, Centre dramatique de l’Est à Colmar (1946), Comédie de Saint-Étienne (1947), Grenier de Toulouse (1948), Centre dramatique de l'Ouest (1949), Comédie de Provence (1952). En six ans, elle renouvelle le paysage théâtral français avec la décentralisation des troupes de théâtre, et la démocratisation, pour élargir les publics. Un travail de fond qui marquera longtemps le paysage de la culture en France. Ses adversaires conservateurs, et directeurs des théâtres privés parisiens, obtiendront son éviction en octobre 1952.
Le TNP de Jean Vilar est le modèle sur lequel se développent de nombreux autres théâtres “décentralisés”, pour qui le théâtre est un service public. Les directeurs de troupes, comédiens, metteur en scène, techniciens et auteurs sont saisis d’un d’un puissant désir de porter le théâtre au-delà de ses limites traditionnelles, essentiellement parisiennes. Armés de leur seule volonté, de sincérité et d’enthousiasme ces artistes visionnaires construisent un théâtre exigeant et populaire qui forme les spectateurs en dialoguant avec eux.
En province et dans les banlieues ouvrières le théâtre populaire offre des spectacles de qualité, alliant les œuvres classiques et les créations modernes, rendues accessibles au plus grand nombre. De Molière à Bertoldt Brecht, de Shakespeare à Giraudoux, de Marivaux à Dürenmatt, de Salacrou à Adamov, les œuvres présentées abordent des thèmes contemporains et encouragent la réflexion. Les théâtres vont à la rencontre du public par une politique de communication et d’animation, avec la collaboration des associations culturelles et des comités d'entreprise. Ces nouveaux théâtres et leurs troupes donnent aux français une nouvelle image de la culture. Loin de l’académisme figé, du solennel, de l’élitisme, à l’opposé d’une vision conservatrice du monde et de la société.
En 1959, André Malraux, ministre des Affaires culturelles de De Gaulle poursuit cette politique avec de nouvelles ambitions, en créant les Maisons de la Culture.
Mais après mai 1968 où les esprits se sont échauffés, il est temps de remettre de l’ordre et de la raison chez les auteurs de cette activité bouillonnante, à l’image de Gabriel Monnet qui devra quitter Bourges.
On réorganise, on change quelques têtes… Créées en 1991 par Jack Lang, les scènes nationales sont chargées de diffuser les œuvres quand les Centres Dramatiques Nationaux ont eux une mission de création.
Qu’a-t-on fait aujourd’hui de l’héritage de Jeanne Laurent, de Jean Vilar, Jean Dasté, Patrice Chéreau, Gabriel Garran, Gabriel Monnet, Roger Planchon, Jack Ralite, et tant d’autres pionniers de l’art et de la culture …? (Attention mon opinion personnelle est un peu “brut de décoffrage”)…. Les scènes nationales, nouvel avatar de cette espèce de reprise en mains par l’État, l’administration culturelle et les apparatchiks de la culture sur fond de “gestion budgétaire”, sont pour moi une régression. Certes, comme c’est le cas à Bourges, ces espaces culturels d’un nouveau genre proposent des spectacles de qualité ; mais la flamme et l’animation, l’enthousiasme des relations avec le public, les débats enflammés, les remue méninges vivifiants, la culture en prise directe avec la société, ont disparu. Les troupes de théâtre qui militaient pour la diffusion de la culture ont été remplacés par une administration qui est pour moi, sans âme. À mes yeux, les scènes nationales n’ont pas d’ambition, ce ne sont plus des Maisons de la culture (d’ailleurs, elles ont jeté le nom aux orties)….
Fin de la digression et revenons au film avec cette conclusion qui est un emprunt à la chronique d’un vieux routard passionné de théâtre, Jean-Pierre Léonardini - dans l’Humanité. J’aime bien sa définition de la décentralisation théâtrale : “un Mouvement social d’ampleur, greffé sur le désir de partage civique des richesses spirituelles”.
Ce n’est pas un hasard si ce documentaire, dont la réalisation a été sollicitée par l’Union des artistes, s’arrête à 1981. Cette année-là, avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir et Jack Lang à la Culture, vit un tournant – pour une part consécutif à Mai 68 – dans la politique théâtrale. C’est-à-dire que prit alors fin la mission des pionniers, qui consistait à irriguer le territoire de troupes amenant leur répertoire dans les lieux les plus reculés.
Cela vous émeut aux larmes d’entendre et voir Françoise Bertin raconter la vie frugale et exaltante que c’était, ou Isabelle Sadoyan narrer ses débuts de costumière chez Planchon. Il y a Ralite, Lassalle, Debauche, trois figures chères perdues il y a peu, et Georges Goubert, Pierre Vial, Maurice Sarrazin, Bernard Sobel, Roland Bertin, Robert Abirached, Arlette Téphany, Vilar, Vitez, Vincent, Garran, Jean-François Lapalus, Jeanne Laurent, René Loyon, Jacques Kraemer, et Malraux et de Gaulle, Planchon, Rétoré, Émile Biasini, Évelyne Istria, bref une foule d’êtres, artistes ou décideurs politiques, qui furent impliqués dans ce mouvement social d’ampleur, greffé sur le désir de partage civique des richesses spirituelles, qui eut lieu à un moment historique donné. Un rien de nostalgie raye à peine l’allant général du tout, qui témoigne encore d’une énergie folle.
Ce film retrace “une sorte d’épopée qui a tout emporté sur son passage et qui nous revient ici, scandée allègrement par les paroles et les images de ceux qui l’ont construite au jour le jour“.
Allez, pour la route, le mot de la fin de Robert Abirached : "Le théâtre est un art de société nécessaire à la collectivité dans une démocratie”.
> Alors, rendez-vous Mardi 29 mai à 19h30 au cinéma CGR de Bourges. Et quelle bonne idée à eue l’association Double Cœur de proposer ce film aux berruyers !
> Photos, de haut en bas. Jeanne Laurent et Jean Vilar. Jean Dasté et Alain Meilland. L’affiche du film de Daniel Cling. Françoise Bertin. Gabriel Monnet. Roger Planchon. Jack Ralite. Gabriel Garran. Une affiche du Théâtre de la commune à Aubervilliers.
> Lire dans gilblog. Ne pas confondre culture et Cultura. >>> Lien.
WIkipedia. Maison de la culture. Bref résumé historique de 1935 à nos jours. >>> Lien.
Pour la relance des États généraux de la culture. >>> Lien.
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