Bon, c’est d’accord, je suis de parti pris, j’aime le Festival du mot et sauf empêchement, je m’y rends chaque année depuis six ans. La Charité sur Loire prend un air de fête, il faut descendre et remonter la grande rue du centre historique, découvrir des mots accrochés ici ou là, flâner dans le site bénédictin et l’abbatiale romane, se nicher sous les ogives de la librairie du festival et feuilleter les livres, déambuler dans la cour du Prieuré devant les mots posés dans le jardin, ou s’arrêter devant les manuscrits d’écrivains célèbres de l’exposition “La quête du mot juste”. Sur le parvis, place des Pêcheurs, les paroles de Vincent Roca sont attendues chaque jour par une foule de fidèles venus le prendre au mot malgré l’ardeur du soleil. Plus tard, on s’installe sur l’herbe d’un jardin pour une causerie, ou pour tirer du chapeau quelques chansons-surprises interprétées par deux chanteurs.…
Ici, le public vient pour se nourrir et se réjouir en même temps, car je vous le dis, le savoir c’est gai. Des dizaines de spectacles, et des conférences au ton familier. Tout est à savourer, on aimerait aller partout, mais il faut choisir. Dans les rues, on rencontre Christiane Taubira, Jean-Pierre Darroussin, des actrices, un conférencier, parfois on discute ensemble.
Le jeudi matin à dix heures trente c’est Christiane Taubira, venue au Festival pour nous parler de littérature et de poésie. La salle haute du Prieuré (trois cents places) ne pouvant accueillir tout le monde, une partie du public l’écoute dans le jardin du cloitre sonorisé pour la circonstance.
Christiane Taubira commence sa causerie intitulée “Face aux ténèbres dressons les clartés”, en racontant ce que fut la révélation des poèmes d’Aimé Césaire sur l’adolescente qu’elle était. Depuis, elle est habitée par l’amour des mots, elle aime leur beauté et connaît leur puissance. Elle place littérature et poésie au centre de l’humanité. “Lorsque je suis dans une situation périlleuse, il me monte spontanément, en général, de la poésie. Les écrivains me viennent en aide, constamment”. Femme à la parole libre, elle affirme ses convictions dans une langue riche, avec une passion communicative.
Les écrivains ont du lui venir en aide cette fois aussi, car sitôt quittée la salle, Christiane Taubira va dédicacer ses livres durant plus de quatre heures ! (L’Esclavage raconté à ma fille, Murmures à la jeunesse, Nous habitons la Terre).
Samedi soir c’est Jean-Pierre Darroussin, avec "Prélude de Pan" dans la salle haute du Prieuré dont il fait monter la température avec ce conte de Jean Giono.
C'est la fête annuelle au village. Les cafés sont pleins. L’orage menace et se lève. un bûcheron maltraite une colombe. Un homme étrange entre au village, il transforme la fête en un moment de folie où les hommes et les bêtes vont se mêler, la panique primitive s’empare des humains. “Maintenant tout le village était dans la transe”. Et “ça avait ouvert dans notre poitrine comme une trappe de cave et il en était sorti toutes les forces noires de la création”.
La voix de Darroussin invoque le mystère qui vient, elle nous enveloppe à mesure que la force secrète de l’étranger se révèle, elle enfle quand l’orage approche et que la folie s’empare des villageois. Le talent de l’acteur ne fait qu’un avec la langue du conteur; avec son interprétation c’est toute la poésie de Giono qui nous enivre et nous transporte… Un grand moment salué par des salves d’applaudissements.
Et les conférences… Impossible d’assister à toutes. “Précieux mots arabes” par Jean Pruvost, Professeur à l'Université de Cergy-Pontoise et chroniqueur à la radio; on découvre que la langue arabe est un peu partout dans notre langue, vocabulaire scientifique, fruits et légumes.… “Le cerveau des plantes”, par Anne-France Dautheville, journaliste à Grands Reportages et Géo ; passionnée de jardinage, elle a publié “Le grand dictionnaire de mon petit jardin” et “Les miscellanées des plantes”. “Laïcité”, par Martine Cerf, Secrétaire générale de l’association EGALE, Égalité-laïcité-Europe, auteure de Dictionnaire de la laïcité. En écoutant Martine Cerf, on se demande pourquoi les politiciens et les médias s’évertuent à compliquer le sujet de la laïcité. Ce grand principe bien carré où l’État s’interdit de choisir une religion et garantit à chaque citoyen la liberté de conscience (et pas seulement de religion), est tout simplement un principe de liberté.
Et des spectacles, il y en avait ! Le plus remarquable à mes yeux est “Bienvenue dans l’espèce humaine” de Benoît Lambert, une vraie-fausse conférence à la logique sarcastique et drôlatique interprétée par deux incroyables actrices : Anne Cuisenier et Géraldine Pochon. Ou encore “Le dico de A à Z” de Vincent Roca avec participation du public qui choisit les mots de ce dictionnaire pas sérieux, mais riche de calembours, d’à peu près et de mots d’esprit.
Bref, cinq jours de soleil dans le ciel et dans les têtes pour ce treizième Festival du mot qui a accueilli environ vingt mille spectateurs du 24 au 28 mai. Encore une édition très réussie (mais c’est connu, gilblog est de parti pris !).
> L’an prochain en mai (et sauf changement), on nous annonce deux invités d’honneur : l’un spécialisé dans les sciences et la technologie, l’autre dans les plaisirs de la table. On patientera bien un an, dame, le Festival du mot se mérite.…!
> Photos de haut en bas. Vincent Roca sur le parvis. Rire, pancarte éphémère. Christiane Taubira en pleine dédicace. Espoir, haine, pancartes éphémères. Jean-Pierre Darroussin “Prélude de Pan”. Anne Cuisenier et Géraldine Pochon, “Bienvenue dans l’espèce humaine”. Martine Cerf, “Laïcité”.
> Le site web du Festival du mot. >>> Lien.