De nos jours, les médias donnent de George Sand une image très incomplète, et semblent la réduire à ses romans paysans dans un Berry surrané. Une image très éloignée des études des écrivains ou des universitaires contemporains. Le grand public doit se satisfaire de la narration de ses relations amoureuses avec Musset ou Chopin, mais jamais avec l'ardent et talentueux Michel de Bourges, ou Alexandre Manceau (qui fut son dernier compagnon durant quinze ans). On ne mentionne quasiment jamais son intérêt pour les idées d'Agricol Perdiguier, de Pierre Leroux et du socialisme naissant. On lui octroie pour originalité ses apparitions en vêtements d'homme durant sa jeunesse bohême, son pseudonyme masculin, et le cigare. Mais ce n'est qu'une partie du personnage...
En effet, la stature de George Sand est d'une tout autre dimension. Elle n'est pas que romancière, elle est aussi un auteur de théâtre prolifique, une républicaine active (on pourrait dire militante), une journaliste politique, une créatrice de journaux, et une femme de cœur. Elle disait qu'elle “n'était pas de ces âmes patientes qui accueillent l'injustice avec un visage serein”. Amie de Balzac, de Flaubert, appréciée par Hugo et Dostoïevski, elle entretient des correspondances avec de nombreux artistes et hommes politiques de son temps.
La vraie George Sand est très loin du portrait édulcoré connu aujourd'hui. Ses romans bousculent les conventions sociales et magnifient la révolte des femmes en exposant leurs sentiments, ils s'ouvrent à la question sociale en dépeignant les ouvriers et les pauvres et au rêve d'une société sans classe et sans conflit. Cependant il ne faut pas chercher dans ses romans un contenu doctrinal ou un code moral, mais un choc émotif. Parlant d'une de ses œuvres, elle disait que "Lélia n’est point un livre, c’est un cri de douleur, ou un mauvais rêve".
George Sand est un écrivain prolifique : plus de soixante-dix romans, cinquante volumes d'œuvres diverses dont de nombreuses créations théâtrales, des textes politiques, des nouvelles et des contes. Mais qui sait de nos jours que son œuvre théâtrale compte une trentaine de pièces ? Pourtant le public de l’époque est au rendez-vous et remplit les salles, certaines représentations dans les théâtres parisiens et en province remportent un grand succès, comme "Le Marquis de Villemer" (on dit que tout le monde pleurait dans la salle, y compris Napoléon III et Flaubert). On peut citer Cosima, François le Champi, Comme il vous plaira, Mauprat, Molière, Les Beaux messieurs de Bois-Doré, Le marquis de Villemer, L’autre (c’est là que Sarah Bernhardt fait ses débuts), qui sont représentés dans les grands théâtres parisiens (la Comédie Française, l’Odéon, le Gymnase …etc). Malheureusement ces pièces ont sombré dans l'oubli et ne sont pas rejouées ni rééditées.
La relation de George Sand avec Michel de Bourges de 1835 à 1837, contribue à forger les convictions républicaines et socialistes de l’écrivain et à nourrir son intérêt pour la vie politique. Au cours des révolutions et des bouleversements du dix neuvième siècle la conscience politique et sociale de George Sand se forme et évolue. Elle attend de la révolution de juillet 1830 "une grande réforme dans la société", mais elle est déçue par ce qui n'est qu'un "changement de dynastie". Elle se met au service du peuple "pour hâter l’enfantement de la vérité et de la justice". Pour elle "c’est dans le peuple, et dans la classe ouvrière surtout qu’est l’avenir du monde."
Le mot communisme est souvent employé par George Sand, mais pas au sens qu'on lui connaît de nos jours. Dans un article de "La Vraie République" du 7 mai 1848, elle définit son communisme comme l’application de l’Évangile dans la vie réelle pour que "l’inégalité révoltante de l’extrême richesse et de l’extrême pauvreté disparaisse dès aujourd’hui pour faire place à un commencement d’égalité véritable".
Elle embrasse avec ferveur la cause de la République de février 1848, rédige des circulaires gouvernementales et des brochures, elle assure une partie de la rédaction du Bulletin de la République. Après les manifestations de mai 1848, elle se réfugie à Nohant (pour éviter une éventuelle arrestation ?). L'activité militante de George Sand se trouve interrompue, puis viennent les émeutes de juin, les emprisonnements et la fin de la révolution.
Après le coup d'État de Louis Napoléon Bonaparte en 1851, la censure l'empêchant d'écrire dans la presse, elle s'exprime dans ses romans, sa correspondance et le théâtre. Mais George Sand continue à agir, elle se voue à la cause des condamnés et prisonniers politiques et entreprend de multiples démarches en leur faveur.
À Nohant, les quinze années de sa liaison avec Georges Manceau (qui est aussi son secrétaire) sont des années prolifiques pour l'œuvre de George Sand. Elle écrit au cours de cette période de nombreux ouvrages, dont une vingtaine de romans et des pièces de théâtre. Manceau s'éteint en 1865. George Sand lui survivra jusqu'en 1876.
> En bref, la "bonne dame de Nohant" n'était pas seulement une mamie ou une romantique. À l'égal d'autres personnages remarquables du dix-neuvième siècle, George Sand a été grande par son activité créatrice et grande par son action citoyenne. Loin de moi l'idée de réduire George Sand à la politique au détriment de son œuvre, mais l'une et l'autre font la substance de cette femme exceptionnelle et sont inséparables. Il est dommage qu'une espèce de censure contemporaine gomme une partie de sa personnalité. Cette page n'avait pas d'autre ambition que de rappeler ces faits, de vous donner envie d'en savoir un peu plus, et qui sait (?) de relire ses œuvres.
> Illustrations, de haut en bas. Caricature de George Sand. Michel de Bourges. Agricol Perdiguier, caricature. George Sand en 1860 photographiée par Nadar.
> Sources : Wikipedia, une page très détaillée sur George Sand. >>> Lien.
Thierry Bodin, Les Lettres françaises avril 2004.
> Lire dans gilblog. Michel, citoyen de Bourges. >>> Lien.
> Lire aussi "George Sand, le parti du peuple" de Jean-Claude Sandrier, qui s'intéresse à George Sand et à ses affinités politiques. Éditions AàZ. 17 euros.
Lettre au général Richepanse.
Monsieur le Général,
Puisque vous avez gardé le souvenir d’un fait qui m’a procuré l’honneur de vous connaître, je vous dois compte des dispositions où ce fait m’a laissée. Il m’importe peu de savoir qui vous avez en vue des rouges ou des archi-rouges quand vous dites : "Nous ne ferons plus de prisonniers, nous ne nous amuserons plus à les envoyer en cour d’assises ; aussitôt pris, aussitôt expédiés" (ce sont là vos paroles textuelles). Il me suffit de savoir qu’à votre point de vue il est des gens déclarés, d’avance, hors la loi, des gens qui, sur un champ de bataille, n’ont droit au bénéfice ni des lois civiles, ni des lois humaines, ni des lois de la guerre. C’est ainsi que raisonnaient les assassins du général Bréa (Bréa avait été assassiné le 24 juin 1848 par des insurgés avec qui il parlementait). Si quelque chose pouvait faire excuser leur crime, ce serait leur ignorance, leur manque absolu d’éducation morale. Les soldats de la France et les généraux de la France doivent-ils désormais être assimilés à ces gens-là ? Les gens violents sont toujours des esprits faibles, et comme il y a beaucoup d’esprits faibles, en ce monde, il serait fort à craindre que votre doctrine ne fît des adeptes dans tous les partis, même dans ceux dont les guides prêchent l’honneur et l’humanité. Ce serait donc vous désigner d’avance à de terribles représailles, ce serait envenimer les discordes et donner un fâcheux exemple que de livrer votre nom et vos paroles à la publicité. Je ne l’ai pas fait, je ne le ferai pas, parce que j’ai l’orgueil de croire ma religion politique meilleure que la vôtre. Et puis je me dis qu’entre la menace et l’accomplissement de la menace, on a le temps de réfléchir et de changer d’avis.
Cependant, Monsieur le Général, je vous en fais une ici que la mort seule m’empêcherait d’accomplir. C’est que le jour où vous réaliserez vos projets, le jour où vous ne ferez pas de prisonniers, je me souviendrai que ces sortes d’exécutions ne peuvent pas être excusées par l’enivrement du combat, mais que ce sont des attentats bien prémédités contre l’humanité, contre la société légale et contre le droit des gens. Vous avez pris la peine de dire à un mien ami que ce n’était pas à la République, mais à certains démocrates que s’appliquaient vos menaces. Dans ce cas encore, votre pensée, vos paroles que j’ai recueillies et écrites avec soin le soir même, s’adressaient à tous les républicains, à la République qui, selon vous, est un leurre et dont ni vous ni vos soldats (vous le croyez !) ne veulent plus. Et cependant : vous êtes général du fait de la République et vous vous appelez Richepanse !
Moi, Monsieur, je suis communiste, et je m’appelle George Sand.
Nohant, le 27 mai 1851.