Qui connaît aujourd'hui Pierre Hervier ? Certes, une place de Bourges porte son nom, mais qui se souvient de cet homme infatigable, acteur et témoin de notre histoire sociale dans la première moitié du siècle dernier ?
Et d'abord, pourquoi Pierre Hervier ? Eh ! Bien, c'est à cause d'un souvenir d'enfance. Ma grand-mère Blanchet, solognote, pieuse femme (et même un gros brin superstitieuse), m'avait raconté les expéditions des "rouges" dans les forêts. À cheval sur leurs bicyclettes, armés de tracts et de bouteilles de vin, ils venaient de Bourges et d'ailleurs pour prêcher la révolte aux bûcherons et autres travailleurs forestiers, et les entraîner dans des grèves funestes qui leur faisaient perdre leur travail et ruinaient leurs pauvres familles ! Ma grand-mère en avait tiré un principe universel et salvateur qu'elle tenta de m'inculquer : éviter les rouges.
Des années plus tard, en lisant l'ouvrage historique de Claude Pennetier "Le socialisme dans le Cher", je tombe sur le nom de Pierre Hervier, syndicaliste, fondateur de la Bourse du travail de Bourges, et à l'origine des syndicats de bûcherons. Son moyen de locomotion, la bicyclette....
Qui était Pierre Hervier ?
Pierre Hervier (1868-1950) est un des pionniers du syndicalisme dans le Cher. Né le 13 septembre 1868 dans une famille de journaliers, il doit travailler très jeune, il exerce de nombreux métiers et commence à militer dans l'amicale de l'entreprise l'Habillement militaire, ce qui lui vaut d'être renvoyé. À dix-huit ans, il entre à l'usine des toiles cirées Chédin et devient secrétaire du syndicat en 1886. Il participe à la création de la Bourse du travail en 1897. Inlassablement, il parcourt le département, organisant des syndicats ouvriers, et notamment ceux des bûcherons (il contribue à la formation de leur Fédération nationale en 1902). Il s’intéresse aux problèmes posés par l’organisation du prolétariat rural et des petits exploitants. Secrétaire de l’union départementale des syndicats du Cher en 1912, il mène une action énergique, y compris en ce qui concerne l’antimilitarisme et l’organisation de la caisse du "Sou du Soldat". Il sera le Secrétaire général de la Bourse du travail jusqu'en 1927.
Ce résumé trop bref ne donne qu'un aperçu de la vie de Pierre Hervier, qui fut aussi Conseiller municipal et (brièvement) Maire de Bourges, emprisonné pour son activité antimilitariste, journaliste à "L'émancipateur" et "La Défense"....
Ce qu'on doit à Pierre Hervier.
D'abord la Bourse du travail de Bourges en 1897 (rue Coursarlon), cette création des syndicats était à l'origine un bureau de placement original parce que gratuit, sinon il fallait payer le prix fort dans des officines privées. Vous avez bien lu : à l'époque il fallait payer pour trouver un emploi ! "C'est un dur calvaire que celui de la pauvre bonne, venue de loin avec un pauvre bagage, sans ressources, sans parents, sans amis, elle tombe chez un placeur. Le peu d'argent qu'elle a apporté de son village c'est lui qui l'aura. Le trafic des places est honteux. Il y a tout un commerce qui équivaut presque à la traite des blanches. Il y a des places fictivées et des places où on ne reste jamais. Ce sont les plus productives pour le placier, chaque placement lui rapportant un gain rémunérateur" [Journal Le Matin].
La nouvelle Bourse du travail, qui occupe toujours le petit immeuble actuel de la place Malus, fut inaugurée le 9 avril 1911.
L'Université populaire d'éducation mutuelle, créée en 1900.
La bibliothèque de la Bourse du travail bientôt complétée par une bibliothèque roulante itinérante.
Les caisses de secours et le bureau de bienfaisance pour les chômeurs, en 1897.
Le service médical est créé à la Bourse en 1899. C'est une entente entre un docteur qui consulte à la Bourse du travail, et trois pharmaciens qui font des réductions aux ouvriers syndiqués.
La Caisse de chômage est créée, en 1902.
Le service de consultation juridique gratuit, créé en 1902.
Les bains, avec la création de la "Société berruyère des bains douches à bon marché" en 1910. "Ouvrier mon frère, crois que ma parole est profonde. Avant de dominer le monde, commence par te laver les pieds".
La lutte contre l'alcoolisme, avec des campagnes contre les méfaits de l'absinthe et l'appel à la "grève générale contre l'alcool" en 1911 : "Ne buvez plus d'alcool, véritable poison du corps et de l'intelligence, et vous comprendrez beaucoup mieux vos intérêts et serez à même de les discuter plus sainement".
La commission de propagande avec son Groupe cycliste qui aide à créer les syndicats dans les campagnes, et des bourses du travail à Mehun, Saint Amand, la Guerche, Dun sur Auron, de 1902 à 1909.
Il encourage la création en 1930 de la Caisse ouvrière d'assurances sociales "Le travail" dont le Président fut Louis Fredonnet. "Le plus grand honneur de ma vie de militant", écrit Fredonnet dans ses mémoires. Avec ses quatre mille adhérents, la caisse "Le travail" entrera dans le cadre du nouveau régime de sécurité sociale créé par l'Ordonnance du 19 novembre 1945.
> Comme on peut le voir, ce que certains appellent de nos jours "État providence", n'a rien de providentiel, la "providence" est le résultat de l'action et des luttes obstinées de Pierre Hervier et de milliers d'autres comme lui en France et durant plus d'un siècle. Les services mutuels ont été conçus par des femmes et des hommes qui se sont unis dans leurs syndicats pour conquérir des droits qu'on leur refusait alors. Le programme du Conseil national de la résistance, puis les ordonnances du premier gouvernement de de Gaulle en 1945, en ont fait des services sociaux à l'échelle de la France, que les salariés et leurs employeurs alimentent de leurs cotisations. Les atteintes que leur font subir les gouvernements actuels (vous savez, les "charges" trop lourdes), ne sont que de vulgaires tentatives pour reprendre ce qui a été concédé il y a un demi siècle....
Bref, tout ce pan de notre histoire méritait bien un coup de chapeau à Pierre Hervier, berrichon et émancipateur !
> Quelques uns des articles de Pierre Hervier parus dans le journal l'Émancipateur en 1937 ont été réunis dans une brochure par l'Institut régional CGT d'histoire sociale du centre, je vous conseille très vivement la lecture de ce témoignage passionnant.
Merci à Guy Quenet, de l'Institut d'histoire sociale CGT du Centre (Président du collectif du Cher) pour ses documents et ses précieuses informations.
Merci aux Archives départementales du Cher où j'ai découvert d'autres documents que je publierai dans gilblog un de ces jours.
Merci au Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, le "Maitron" qui m'a aimablement communiqué la biographie de Pierre Hervier. http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/
> Lire dans Gilblog les Mémoires de Louis Fredonnet. >>> Lien.