Marguerite Audoux, si elle est incontestablement un écrivain du peuple, n’est pas connue pour s’être mêlée à la vie politique de son temps ; rien dans son œuvre ou son expression publique ne semble le dire. Aussi, ai-je été étonné en voyant sa signature à côté de celle d’Anatole France et de Maurice Ravel au bas d’un appel contre la loi de trois ans, qui faisait grand bruit à l’époque (document aux Archives départementales du Cher). Parmi les signataires de l’affiche on découvre les noms prestigieux de : Anatole France, Maurice Ravel, Pierre Bonnard, Maximilien Luce, Octave Mirbeau, Lucien Descaves, Marguerite Audoux, Henri Wallon, Élie Faure, Francis Jourdain, Georges Besson, Florent Schmitt, Frantz Jourdain et d’autres personnalités de l’époque moins connues aujourd’hui.
Marguerite Audoux fit partie du ”groupe de Carnetin” qui rassemblait des amis et artistes de talent. Ces artistes se retrouvaient chaque dimanche dans une maison louée en commun, à Carnetin en Seine et Marne, pour se mettre au vert loin de la vie parisienne. Parmi les amis de Marguerite Audoux, certains affichaient des opinions socialistes, tels Jourdain, Wallon, ou Besson, ou libertaires comme Octave Mirbeau. En tous cas, l’aurait-elle voulu, en pareille compagnie elle ne pouvait pas fermer ses oreilles au bruit du monde. L’empathie étant un des traits de sa personnalité, on comprend qu’elle ait accepté de se joindre aux signataires qui demandaient l’amnistie pour les soldats en révolte contre la loi de trois ans.
Un autre étonnement fut de trouver la signature de Marguerite Audoux dans Les Hommes du Jour, journal de Henri Fabre, anarchiste notoire, arrière-grand-oncle d’une amie de Crézancy, Nathalie-Noëlle Rimlinger, qui me l’a fait connaître.
En janvier 1908, Henri Fabre et un autre journaliste, Victor Méric, lancent une revue politique et satirique illustrée, “Les Hommes du jour, Annales politiques, sociales, littéraires et artistiques”, d’esprit libertaire. Chaque numéro présente la biographie teintée d’humour d’un personnage contemporain accompagnée d’une caricature. Ce journal connaîtra le succès de 1908 à 1918. Plusieurs numéros sont consacrés à des anarchistes et des syndicalistes révolutionnaires parmi lesquels : Lucien Descaves, Francisco Ferrer, Pierre Kropotkine, Maximilien Luce, Octave Mirbeau. La couverture du premier numéro, était une caricature de Georges Clemenceau (alors président du conseil et qui se surnommait lui même premier flic de France) à l’apparence d’une tête de mort, au lendemain de la sanglante répression du mouvement des carriers grévistes des sablières de Draveil. “Avec un dessin semblable, c’était le succès assuré. Ce fut le triomphe. La Gueule de Clemenceau tirée à 25 000 s’enleva comme du petit pain” se souvient Victor Méric.
C’est dans le numéro de Noël 1910 de Les Hommes du Jour, que Marguerite Audoux publie “Au feu” qui raconte un fait divers, un petit drame social, auquel elle avait probablement assisté. Dans le même numéro de cet hebdomadaire libertaire, sa signature voisine avec celles de ses amis Léon Werth, Charles-Louis Philippe, de Jehan Rictus, Émile Verhaeren… Avec de telles amitiés, Marguerite Audoux n’était peut-être pas aussi éloignée des choses du monde qu’on le laisse penser. Peut-être tout simplement laissait-elle à d’autres le soin d’exprimer ce qu’elle ne se sentait pas capable d’écrire….
Bernard-Marie Garreau, biographe de Marguerite Audoux, raconte “Elle était toujours en retrait. Par exemple, on a voulu lui donner la légion d’honneur, on lui avait envoyé le formulaire. Je l’ai retrouvé intact dans une enveloppe, elle n’y avait pas touché”. Mais ce refus des honneurs pourrait aussi être le signe d’une désapprobation silencieuse et plus profonde, et pas seulement d’une espèce de retrait ?
Comme on vient de le voir, Marguerite Audoux “la couturière des lettres” n’était peut-être pas aussi passive et résignée qu’il y paraît. La publication de la correspondance générale de la romancière à laquelle travaille Bernard-Marie Garreau nous en dira plus et nous révèlera de nouvelles facettes de sa personnalité…
> Lire dans gilblog. Quand Marguerite Audoux signait une affiche contre la loi de 3 ans. >>> Lien.
Le groupe de Carnetin, la famille de Marguerite Audoux. >>> Lien.
Marguerite Audoux, romancière française… et berrichonne. >>> Lien.