Depuis Napoléon premier, Bourges est considéré comme emplacement stratégique pour installer une production d’armement. Mais c’est seulement en 1845 que Bourges abrite pour la première fois un dépôt d’artillerie. En 1853, c’est la création du premier polygone de tir. En Avril 1860 Napoléon III décide d’implanter les “Établissements militaires” à Bourges avec la Fonderie impériale de canons dont les premières pièces sortent en1867 sous l’impulsion de l’ingénieur Henry Perrier de Lahitolle. En 1870, une l’École centrale de pyrotechnie s’implante à Bourges. Arrive le vingtième siècle…
Nous sommes le samedi 2 novembre 1907 au Polygone à Bourges. Un convoi passe sur la route de Crosses il est accompagné par dix soldats. C’est un chargement de vingt obus à la mélinite sur un chariot tiré par un cheval. Les obus à la mélinite sont censés avoir l’effet de torpilles, venir à bout de plaques d’acier et faire des trous énormes dans les fortifications ennemies. Ce convoi est particulièrement dangereux, car ces obus, destinés à des essais sont plus sensibles que les obus de combat.
Le chariot est suivi de loin par deux soldats de la première compagnie d’artificiers. Ils entendent une formidable explosion, accourent sur place et découvrent une scène horrible. Sept corps déchiquetés. Du sang partout. Et trois survivants. L’un d'eux, un bras et une jambe arrachés, supplie qu’on l’achève. Le corps en lambeaux du maréchal des logis est retrouvé sur les branches d'un arbre.
Au loin, un cheval fou, blessé, est parti au galop.
On apprendra plus tard que les soldats auraient désobéi aux ordres, et seraient montés sur le chariot, ce qui aurait déclenché l’explosion.
Dans une page de son site web, Roland Narboux donne la liste des victimes. Les militaires : Amédée Monniotte (maréchal des Logis). Edmond Brousse. Henri Richaud. Louis Blavot. Albert Plantié. Félix Martin. Eugène Gobain. Plus Louis Gouin, ouvrier civil. Les blessés se nomment Chaussé et Foltier. Les sept morts sont des militaires et un ouvrier civil, âgés de vingt et un et vingt deux ans. Les blessés ont dix neuf et vingt et un ans.
Pourquoi ces obus étaient-ils amorçés au départ de l'école de pyrotechnie ? Les autorités justifient cet amorçage par des raisons techniques et font endosser la responsabilité de l'accident aux soldats. Dans un communiqué, le ministère de la Guerre accuse le sous-officier commandant le convoi, d'imprudence coupable. La presse, relate abondamment la tragédie les jours suivants. Car si d’autres explosions accidentelles ont déjà eu lieu au Polygone (en 1890, 1898 et 1899), le bilan et le tableau du drame de 1907 sont particulièrement cruels !
Les obsèques des victimes sont grandioses, vingt mille berruyers se rassemblent le long du parcours funèbre. Le même jour, les deux survivants sont décorés par le général Picquart, ministre de la Guerre. Une stèle aux victimes est érigée, et toujours visible, au cimetière des Augustins à Bourges.
> Mais rappelons d’autres drames dus aux explosifs à Bourges… D’abord l'explosion du 10 octobre 1890, elle fera quatre victimes. Celle du 7 mars 1898 fera deux morts et plusieurs blessés. L'explosion du 18 mars 1899 fera deux morts et deux autres succomberont à leurs blessures. Puis c’est l'explosion du 2 novembre 1907. Elle sera suivie le 2 juillet 1914 d’une autre explosion causée par un orage. L'explosion du 18 septembre 1915 fera encore un mort. Enfin, il y a l'explosion du 20 août 1946 dans les carrières du Château avenue de Dun ; le bilan sera de dix morts parmi les ouvriers chargés du désamorçage des bombes entreposées pendant la deuxième guerre mondiale…
Pour ce qui est des tirs à l’uranium appauvri de la période récente, on ne peut faire que des suppositions car les radiations semblent ne pas avoir d’effet immédiat sur le personnel. Silence absolu des autorités sur le sujet, et les témoins sont muets. Un jour peut-être, quand les archives s’ouvriront ?
> Photos, de haut en bas. Artilleurs français en 1907. Eugène Turpin (1848/1927) inventeur de la melinite. Bourges, funérailles des victimes de l’explosion du 2 novembre.
> Sources. Le site web de Roland Narboux, spécialiste de l’histoire de Bourges. >>> Lien.
“Histoires singulières dans le Berry d’hier” par Philippe Ducrest. Éditions Jary.