Voici le roman vrai d’un autre communeux berrichon, déporté en Nouvelle Calédonie, qui aurait pu rester un “oublié de l’Histoire” s’il n’avait collectionné les armes kanak et fait un don au musée de Bourges, sa ville natale….
Le futur communeux Gervais Bourdinat, menuisier, entrepreneur en charpente et menuiserie voit le jour le 21 septembre 1831 à Bourges. Il est le fils de François-Decadi Bourdinat, journalier, et Thérèse Bourdinat, née Devidé, son épouse. Au moment de cette naissance, ils habitent le quartier Saint Privé à Bourges. Onze ans plus tard, le 6 décembre 1842, la famille s’agrandit avec la naissance de Jean Bourdinat qui deviendra lui aussi un communeux.
Quelques années après, en 1855, Gervais est à Paris, il habite 25 Grande rue d’Austerlitz (de nos jours rue Esquirol), dans le treizième arrondissement. Cette année là, il se marie avec Marie Guillemet (née le 15 octobre 1837 à Bourges), avec qui il aura deux enfants, Louis-Eugène et Mathilde. En 1867, il est condamné à cent francs d’amende pour coups et blessures, sans qu’on en sache plus sur les raisons de cet incident.
Pendant le premier siège de Paris par l’armée prussienne en 1870, il est engagé volontaire à la 3e compagnie du 42e bataillon de la Garde nationale.
Pendant la Commune, il continue dans la Garde nationale fédérée avec le grade de sergent major, et le 15 avril 1871, il est affecté à la 13e batterie d’artillerie au fort de Bicêtre, les Hautes-Bruyères et Villejuif. Le 25 mai, il est de retour à Paris, mais il est arrêté à la mi-juin par les versaillais. On le dit “partisan exalté de la Commune”.
On ne sait dans quelle prison il attend d’être jugé (probablement à Versailles), puis il est incarcéré le 25 juin sous le numéro 118 à l’Ile d’Aix. Le 18 mars 1872, le 9e conseil de guerre de Sèvres le condamne, pour fait d’insurrection, à la déportation simple (matricule 1905) et à la dégradation civique. Il est embarqué sur l’Orne le 14 janvier 1873 (5e convoi) et arrive en Nouvelle-Calédonie le 3 mai après une traversée épuisante de 109 jours marquée par des conditions inhumaines et une épidémie de scorbut qui oblige L’Orne a faire escale à Melbourne le 20 avril. Trois cents détenus de l’Orne, sur cinq cent quarante, sont atteints du scorbut et deux sont morts. Ce voyage de l’Orne est résumé dans gilblog sous le titre : “L’aventure de Michel Limousin, jeune berrichon déporté en Nouvelle Calédonie”. On peut lire tous les détails de la traversée dans le livre de l’architecte Achille Ballière, lui aussi malheureux déporté de l’Orne : “Histoire de la déportation par un des évadés de Nouméa”.
On croyait disposer d’une photo, mais c’est celle de son petit-fils me dit Dominique Deyber du musée du Berry. Je remplace son portrait par la description contenue dans la fiche d’écrou de Gervais Bourdinat qui le décrit ainsi : taille: un mètre soixante six, cheveux châtain foncé, front découvert, yeux gris, bouche petite, menton rond, visage rond, teint coloré.
Semblant bénéficier d’une certaine tolérance, Bourdinat est autorisé en novembre à résider à Nouméa où il est conducteur de travaux chez l’entrepreneur Bornebroque. La vente du matériel et l’outillage laissés à Paris, lui permet de créer un atelier de charpente et menuiserie et de créer une clientèle ; il reprend ainsi le cours de sa carrière interrompu par la répression versaillaise. Sa femme et ses deux enfants viennent le rejoindre par le Fénelon. Il devint propriétaire de trois immeubles et “l’un des meilleurs sujets de la déportation”. Il est élu conseiller municipal, bénéficie d’une remise de peine le 4 janvier 1877, puis d’une remise de la résidence obligatoire, le 15 janvier 1879.
Mais il choisit de rester en Nouvelle-Calédonie et devient membre de l’Union démocratique de propagande anticléricale et membre de la loge maçonnique “l’Avenir calédonien”. Conseiller municipal après sa remise de peine en 1877, il sera réélu jusqu'à sa mort. Veuf en 1882, il se remarie à Nouméa, le 19 septembre 1883 avec Léonie Lenfant, veuve Varigault, dont il divorce le 20 janvier 1886. Il s’éteint le 7 février 1899 à Nouméa à l'âge de 67 ans.
De ses deux fils, l’un est avocat à Nouméa et l’autre est commerçant. Le frère cadet de Gervais, Jean Bordinat, est aussi un communeux.
> En 1884, Gervais Bourdinat fait don de sa collection complète d’armes kanak au musée de Bourges en plusieurs envois par caisses depuis Nouméa. Cette collection d’une centaine de pièces est restée durant plus d’un siècle dans les réserves du musée, qui semblait ignorer l’existence de ce don jusqu’à sa re-découverte en 2014. La collection de Gervais Bourdinat est exposée au musée du Berry sous le titre “Kanak, enquête sur une collection” du 9 avril au 28 septembre 2020.
Trois des armes de la collection Bourdinat appartenant au chef Poindi-Patchili (cas exceptionnel, car la plupart des armes kanak dans les collections sont anonymes), ont été prêtées par le musée du Berry pour l’exposition Trajectoires kanak en 2018 au musée Anne de Beaujeu à Moulins.
> Sources : Archives départementales du Cher. Dominique Deyber, musée du Berry. Archives de La Rochelle. Déportés et forçats de la Commune par Roger Pérennès. Achille Ballière : Histoire de la déportation par un des évadés de Nouméa. Georges Coquilhat, “Ma Nouvelle Calédonie” Nouméa. Archives Nationales : Condamnés aux bagnes coloniaux. Dictionnaire Maitron).
> Illustrations, de haut en bas. Groupe de déportés à l’île des pins, Bourdinat est peut-être l’un deux ? Affiche de l’exposition du musée du Berry. Fiche d’écrou de Gervais Bourdinat - cliquez sur l’image pour l’agrandir. Un kanak armé d’un casse-tête.
> Lire aussi dans gilblog : L’aventure de Michel Limousin, jeune berrichon déporté en Nouvelle Calédonie. >>> Lien.
Henri Foucher, Henrichemontais prisonnier innocent sur un ponton de Rochefort. >>> Lien.
Et aussi, Achille Ballière : “Histoire de la déportation par un des évadés de Nouméa”. Archipels, Éditions Humanis.