Charles Ferdinand Gambon est né à Bourges le 19 mars 1820. Reçu avocat à l’âge de dix neuf ans, puis magistrat, il fait un parcours mouvementé en épousant les idées nouvelles et en participant hardiment aux aventures politiques de son siècle. D’abord républicain modéré, il deviendra socialiste, puis anarchiste et pacifiste.
Je vais résumer brièvement sa biographie, avant d’aborder un épisode original de sa vie pas banale : l’affaire de la vache à Gambon, qui illustre le caractère rebelle de notre homme (peut-être de lointains gênes gaulois des défenseurs d’Avaricum, ou ceux de ses ancêtres italiens les Gamboni ?). C’est que les socialistes berrichons étaient gens sacrément “couillus”, en ce temps là !
Élu du peuple après la révolution de 1848, Gambon est arrêté dès 1849 pour son opposition au futur empereur Napoléon III, et emprisonné à Belle-Ile en mer, puis en Corse, jusqu'en 1859.Plus tard, il adhère à l'Internationale et participe à la fédération des sociétés ouvrières. Le 26 mars 1871, il est élu membre de la Commune de Paris. Désigné à la fonction de procureur, il refuse le poste. Il défend la commune et participe aux combats contre les versaillais sur les dernières barricades du mois de mai. Il parvient à échapper au massacre et se réfugie en Suisse. En novembre, le Conseil de guerre le condamne, par contumace, à vingt ans de travaux forcés, l’année suivante, il est condamné à mort ! À son retour en France, après l’amnistie en 1880, il prend part au mouvement anarchiste aux côtés de Louise Michel. Il est élu député en 1882 et défend les anarchistes lyonnais emprisonnés lors du procès de 1883. Il est l'auteur, dans "Le cri du peuple", du célèbre slogan pacifiste "Guerre à la guerre !”. Il meurt le 16 septembre 1887. Une rue de Bourges porte son nom.
Bon, l’affaire de la vache, maintenant. En 1860, après ses dix ans de déportation, nous retrouvons Gambon installé agriculteur à Sury-près-Léré, et toujours opposant au régime dictatorial du Second Empire. En 1869, après la fusillade sanglante de la grève des ouvriers de La Ricamarie (faisant quatorze morts et vingt deux blessés), il se rend célèbre par sa campagne pour le refus de payer l’impôt qui financerait une armée de répression. (La fusillade de La Ricamarie inspire à Victor Hugo deux poèmes, et à Émile Zola, l'épisode de la fusillade de Germinal).
“Je ne veux payer ni casse-têtes, ni chassepots*; je laisse pour le compte de votre maître, les provocations de Paris et le sang de La Ricamarie et d’Aubin. En payant, je deviendrais son complice ; je ne veux pas l’être davantage” il publie cette déclaration au percepteur dans le journal “La Réforme” du 10 septembre.
Le fisc saisit alors une partie des biens de Gambon, mais comme les Sancerrois refusent de s’en porter acquéreurs, une vache de son domaine de la Robinerie, est mise en vente sur la place publique de Sancerre. Cet épisode tragi-comique fait grand bruit. L'aventure de la “Vache à Gambon“, donne le jour à une chanson écrite par Paul Avenel, connue à Paris et popularisée par les journaux de l'opposition. Gambon est désormais désigné par le sobriquet de “l'homme à la vache”.
Le 18 décembre, Gambon écrit dans “Le Rappel” (extraits).
“Belle journée pour la démocratie! grand triomphe pour le droit! Je suis exécuté, il est vrai, dépouillé, mais fors l’honneur. À Sancerre, comme à Sury et Léré, pas un citoyen n’a voulu acheter mes meubles! pas un honnête homme n’a voulu se rendre complice et responsable d’une mauvaise action.
Le percepteur de Léré, voyant que personne ne voulait acheter mes meubles, fit saisir et enlever mes bestiaux, contrairement à la loi. Et ce qu’il est bon que tout le monde sache, pas un voiturier de mon canton n’a voulu, même à prix d’or, transporter mon mobilier à Sancerre; on a été obligé d’envoyer une voiture de la sous-préfecture pour enlever le bagage, — meubles et bestiaux, le tout escorté par la gendarmerie.
“Citoyens, je suis venu au milieu de vous pour protester contre la spoliation, comme je proteste contre toute violation du droit. Nul n’a le droit d’exiger l’impôt pour maintenir la servitude. Je déclare que quiconque vend ou achète mes meubles commet un recel et se rend l’ennemi du peuple, et le complice du maître.
Maintenant je suis satisfait; — la démonstration que je voulais faire est faite et parfaite. J’ai dit à la France: — Veux-tu être souveraine? — Eh bien! vote librement et sans abaissement.
Veux-tu mettre de côté et d’un seul coup despotisme, parasitisme et chassepots, ne paie point, refuse l’impôt. Et, comme cela devait être, j’ai fait ce que j’avais dit, j’ai donné l’exemple. Quand on a eu l’insigne honneur de représenter le peuple, quand on a été élevé au rang le plus haut qu’un homme puisse ambitionner, on n’a qu’un droit de plus: celui d’éclairer la route et de marcher le premier”.
C’est à la France à dire si elle veut, si elle doit suivre cet exemple.
Qu’elle le sache bien, il n’y a pas de force contre la raison, pas de droit contre le droit, pas de volonté contre la volonté du peuple”.
En janvier 1870, Le journal La Marseillaise ouvre dans ses colonnes une souscription pour le rachat de la vache du citoyen Gambon et recueille de nombreux dons.
Et voici les paroles d’un tube de l’époque : “La vache à Gambon”.
Jadis, sous un roi despotique
Pour désigner un hérétique,
On s’écriait : c’est un Judas !
Il est de la vache à Colas, il est de la vache à Colas !
Aujourd’hui, mes amis, pour dire
Qu’un français n’aime pas l’empire,
Nous avons un nouveau dicton :
Il est de la vache à Gambon. Il est de la vache à Gambon !
Gambon trouvant que l’on abuse
Des droits du fisc, il se refuse
À payer tous les lourds impôts
Dont on nous frappe à tout propos, Dont on nous frappe à tout propos,
Mais le peuple prenant à tâche
De lui rendre, à ses frais, la vache
Qu’on vendit devant sa maison :
Il est de la vache à Gambon. Il est de la vache à Gambon !
Toutes les fois qu’un homme honnête
À l’arbitraire tiendra tête,
Un pouvoir fort et maladroit,
En vain contestera ce droit, En vain contestera ce droit,
En lui voyant donner l’exemple
De chasser les vendeurs du temple,
Le Peuple dira : c’est un bon !
Il est de la vache à Gambon. Il est de la vache à Gambon !
On a sur la place publique,
Des pantins comme en politique,
Équilibristes singuliers.
Mangeant à tous les râteliers. Mangeant à tous les râteliers.
Et voyez-en les conséquences.
Quoique donnant des espérances ;
On ne dit pas de Darimon :
Il est de la vache à Gambon. Il est de la vache à Gambon !
Mais tout homme n’est pas à vendre :
Il ne s’agit que de le prendre
Dans les rangs des hommes de cœur
Qui ne vivent que pour l’honneur. Qui ne vivent que pour l’honneur.
À Rochefort allez donc dire :
“Ralliez-vous au second empire”.
Rochefort vous répondra : Non,
Il est de la vache à Gambon. Il est de la vache à Gambon !
> Sources : La Commune de Paris, un blog de Michèle Audin. La vache à Gambon. >>> Lien.
Wikipedia. Charles Ferdinand Gambon. >>> Lien.
*Chassepot. Nouveau fusil d’infanterie de l’armée française (performant et réputé à l’époque).
> Dans le Cher il existe une association des “Amis berrichons de la Commune de Paris”. 15 avenue Louis Billant 18800 Villabon. courriel : nic.mic.villab@wanadoo.fr
Et un site web consacré à Édouard Vaillant et à la Commune de Paris: https://vaillantitude.blogspot.fr/