"Le débat sur la laïcité qui s'ouvre aujourd'hui est rejeté par les responsables religieux du Cher" annonce Le Berry Républicain du 5 avril, qui consacre une page entière à ce sujet. Il apparaît dans l'article qu'il s'agit en réalité d'un débat sur l'islam sous couvert de laïcité, organisé par l'UMP ...qui entretient la confusion en croyant ça malin. Une autre source de confusion c'est qu'on ne distingue pas clairement l'UMP de l'État, tant le Président, certains ministres, et le secrétaire de l'UMP, se sont engagés dans cette affaire (Luc Chatel, Claude Guéant, Jean-François Copé). Interrogé par Le Berry, Franck Thomas-Richard (Secrétaire départemental de l'UMP), en remet une couche avec la finesse qui le caractérise, en précisant que "la question posée est celle d'un communautarisme musulman en France". Comme s'il n'avait pas compris la leçon que vient de lui infliger le Front National en plumant l'UMP d'une partie de ses électeurs et causant la perte de trois sièges au Conseil Général !
On se souvient en Berry (et ailleurs) que nombre de femmes se rendaient à la messe avec un foulard sur la tête, que les femmes âgées dans les campagnes ne sortaient pas sans une coiffe, et que beaucoup se signaient pour un oui pour un non, que les catholiques mangeaient du poisson (et pas de viande) chaque vendredi, faisaient carême, que la messe était dite en latin, que les curés et les bonnes sœurs portaient des soutanes et des cornettes... et quoi encore ? Combien de marques de la croyance des catholiques étaient ainsi pratiquées ? Berrichon croyant ou berrichon pas croyant, personne n'en est mort.
La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat (et non loi sur la laïcité) tient tout simplement dans son article premier :
"La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après, dans l'intérêt de l'ordre public. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes.". Et dans l'article 2 il est dit : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte".
Le libre exercice des cultes est défini dans les articles 3 et 4 qui stipulent : Article 3 : Les établissements dont la suppression est ordonnée par l'article 2 continueront provisoirement de fonctionner, conformément aux dispositions qui les régissent actuellement, jusqu'à l'attribution de leurs biens aux associations prévues par le titre IV et au plus tard jusqu'à l'expiration du délai ci-après.
Article 4 : Dans le délai d'un an, à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et immobiliers des menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements publics du culte seront, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent et avec leur affectation spéciale, transférés par les représentants légaux de ces établissements aux associations qui, en se conformant aux règles d'organisation générale du culte dont elles se proposent d'assurer l'exercice, se seront légalement formées, suivant les prescriptions de l'article 19, pour l'exercice de ce culte dans les anciennes circonscriptions desdits établissements."
Les autres articles de la loi traitent du transfert de propriété à l'État. (Texte intégral sur Legifrance, lien en bas de page.)
> Comme souvent, c'est une confusion de mots qui révèle un coup tordu. Dans le cas qui nous intéresse c'est la confusion entre "ordre public" employé dans la loi de 1905, et "l'espace public" employé par l'UMP. (Je vous encourage à lire le passionnant article de Christine Delphy sur ce sujet, vous trouverez le lien en bas de page).
La liberté de conscience garantie par la loi de la République implique la liberté d’expression, dans l'intérêt de l'ordre public. Quant à l’espace public, il n’appartient pas à l’Etat, il appartient à tous les citoyens, croyants ou non croyants, qui y circulent, y font leur commerce, et s'y expriment librement.
Or, par ignorance ou par calcul politicien, certains entretiennent la confusion entre deux sens du mot "public". Entre "public : du ressort de l’Etat", et "public : ouvert au public" ou encore "public : espace public".
Je cite Christine Delphy : "S’exprimer en "privé", nous le pouvons toujours ; c’est s’exprimer en public qui est un droit que l’État doit protéger, et d’abord respecter lui-même. Présenter les croyances religieuses comme relevant ou devant relever du "privé" et de "l’intime", et interdites d’espace public, cela revient à attaquer la liberté d’expression qui est la traduction concrète de la liberté de conscience".
"L’État en France a beaucoup traité les personnes comme des sujets : ce qui était logique sous la monarchie. Aujourd’hui que nous sommes citoyennes et citoyens, on dirait qu’une espèce d’atavisme le pousse à continuer de nous contrôler."
Alors certains rêvent-ils d'interdire une religion en particulier ? Toutes les religions ? Ce serait contraire à la République, dans laquelle toutes les croyances doivent être traitées à égalité, y compris l'athéisme. Peut-on interdire que les religions soient visibles ? Non, leur visibilité est protégée par la loi de 1905. Peut-on décréter que l'espace public et l'ensemble des lieux publics appartiennent à l'État ? Ce serait encore contraire à la République.
Christine Delphy cite la dernière initiative en date de Jean-François Copé : l'idée géniale du chef de l’UMP, serait d’exiger que les prêches dans les mosquées, soient faits en français. Mais alors français obligatoire pour autres églises qui utilisent le latin, le grec, l’hébreu ou le russe dans la célébration de leurs cultes religieux ? De quoi l'État se mêlerait-il ? On est en plein délire.
> La loi du 9 décembre 1905 qui instaure la séparation des Eglises et de l'Etat est une loi de liberté et d’égalité qui a créé un équilibre en France, équilibre qui bénéficie surtout aux anciens cultes reconnus et d’abord au culte catholique. Pourquoi le culte musulman devrait-il être traité différemment des autres ?
Les manifestations publiques des religions sont bien prévues par la loi et avec un caractère collectif (processions, sonneries de cloches…). Elles font partie de la liberté religieuse. Comme les autres libertés collectives et individuelles, la liberté de manifester, le droit à l'information et à l'expression, la liberté d'association, le droit de grève...
> La laïcité à la sauce UMP en France, deviendra-t-elle l'équivalent du "politiquement correct" aux USA ? Est-ce ce qui restera des valeurs républicaines après interprétation par ces politiciens et technocrates ? Réussiront-ils à les transformer en normes, en directives officielles, en vérifications, en interdictions diverses, au point que ces valeurs en perdent leur sens d'origine ? Vivrons nous un nouveau genre d'inquisition "soft" ?
Si la question est "comment se protéger de groupes islamistes dangereux", la police est là pour ça. Que monsieur Guéant lui donne enfin les moyens matériels et humains de faire son travail. Si la question est "comment éduquer, encadrer et intégrer les jeunes issus de l'immigration", l'école et les associations sont là pour le faire, qu'on leur donne aussi les moyens de faire leur travail.
Et si on organisait plutôt un débat pour que Jean-François Copé, Claude Guéant, Franck Thomas-Richard et consorts fichent la paix aux français et travaillent à résoudre les vraies difficultés ?
Et si ces messieurs s'intéressaient enfin à la première préoccupation des français, la priorité des priorités : le chômage ? Et s'ils se mettaient au travail pour créer les emplois dont nous avons tant besoin ? C'est ça qui serait vraiment utile.
> L'article de Christine Delphy sur "Contretemps".
http://www.contretemps.eu/interventions/il-existe-d%C3%A9j%C3%A0-code-la%C3%AFcit%C3%A9
Legifrance, Texte intégral de la loi de 1905.
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006070169&dateTexte=20110405