Joséphine Bergé, berrichonne oubliée de l’Histoire.

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Poursuivant la rubrique “les oubliés de l’Histoire”, voici le récit des derniers jours d’une jeune femme de Santranges qui a payé de sa vie la participation à la Commune (ou sa présence à Paris), au printemps de 1871. Attention, cette histoire n’est pas pour les âmes sensibles. 

Ça commence par quatre courtes lignes dans les archives des Conseils de guerre de 1871 (La répression judiciaire de la Commune de Paris, 1871-1880), qui me donnent envie d’en savoir plus sur Joséphine Bergé, une jeune berrichonne de 23 ans née à Santranges. Pendant la Commune, elle habite 51 rue de l'Arbre sec (quartier Saint-Germain-l’Auxerrois) à Paris. La date et le motif de son arrestation ne sont pas indiqués. 
Joséphine est la fille de André Bergé, journalier, 32 ans et de Marie Bertrand. Vérification dans le registre des naissances de Santranges. Oui c’est bien elle.

Mais un ajout d’une page entière au registre d’état-civil de la mairie de Santranges, une transcription, attire l’attention. Cette transcription qui porte le No 49 indique un acte de décès transmis par le préfet du Cher, chose inhabituelle. Elle est datée du 6 octobre et désigne Joséphine Berger (suit son état civil et son adresse), décédée le 20 août à l’ambulance de Satory-Versailles (dans le vocabulaire de l’époque ambulance signifie infirmerie). Les témoins sont Pierre Marquet âgé de vingt-deux ans et Anthème Boucher, infirmiers à l’hôpital militaire de Versailles, tous deux y domiciliés.  …etc. Les causes du décès ne sont pas mentionnées.

Pour quelle raison Joséphine a-t-elle quitté Santranges, ses parents et ses frères et sœurs, pour aller dans la capitale ? Pour soutenir la Commune, ou pour rejoindre un amoureux ? Quelle profession y exerce-t-elle ? Est-elle une grisette parmi d’autres, une ouvrière, une crieuse de journaux, comme dans cette  illustration de l’époque ? Son parcours reste mystérieux. Une seule certitude, il se termine dans les prisons de Versailles et à Satory. Mais d’autres personnes, en témoignant de ce qu’elles ont vécu en même temps que Joséphine, ont écrit une partie du récit… 

Arrêtée pendant la Semaine sanglante (ce qui laisse penser qu’elle participait peut-être aux événements), Joséphine Bergé est interrogée, puis conduite en convoi à Versailles. Là, elle est emprisonnée avec des centaines d’autres femmes soupçonnées d’être des pétroleuses ou favorables à la Commune, dans l’attente du jugement par un conseil de guerre. 

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Émilie Noro, comme le raconte son témoignage publié dans La Revue blanche, et récemment dans le blog de Michèle Audin (Ma Commune de Paris) a été prisonnière à Versailles, à partir de la fin mai, et jusqu’en août 1871. C’est à dire au même moment que Joséphine Berger. La parisienne, épouse d’un communard et la jeune berrichonne se sont probablement côtoyées. Les extraits du récit d’Émilie dépeignent ce que Joséphine a enduré dans les prisons versaillaises.

Après leur arrestation à Paris, les prisonnières, encadrées par des soldats, sont conduites à pied jusqu’à Versailles (trente kilomètres environ). “Les chasseurs à pied qui formaient notre escorte semblaient avoir conscience du rôle odieux qu’ils remplissaient, ils marchaient silencieux en serre-files de chaque côté de la longue colonne des prisonnières et des prisonniers. Nous allions sept par sept et nous donnant le bras par ordre, ce qui nous mettait dans l’impossibilité de relever le bas de nos robes qui balayaient les pavés inondés. Il nous était défendu de nous retourner et nous savions que celles qui tomberaient ne se relèveraient plus.

Général-Gallifet

Au château de la Muette le 26 mai 1871, autre témoignage terrifiant. “Nous faisons partie de la colonne de prisonniers partie du boulevard Malesherbes à huit heures du matin, se dirigeant sur Versailles. Nous nous sommes arrêtés au château de la Muette où le général de Galliffet, après être descendu de cheval, est passé dans nos rangs, et là faisant un choix et désignant à la troupe quatre-vingt-trois hommes et trois femmes, ils furent amenés sur les talus et fusillés devant nous. Après cet exploit le général nous dit : “Je me nomme Galliffet. Vos journaux de Paris m’ont assez sali, je prends ma revanche”. De là nous fûmes dirigés sur Versailles, où, pendant le trajet, nous eûmes encore à assister à de terribles exécutions faites sur la personne de deux femmes et de trois hommes qui, tombant épuisés et ne pouvant suivre la colonne, furent tués à coups de baïonnette par les sergents de ville formant notre escorte. (Texte signé par onze témoins oculaires, publié dans Livre rouge de la justice rurale, de Jules Guesde).

Reprenons le récit d’Émilie Noro, maintenant. À Auteuil, les chasseurs à pied se retirèrent et ce fut de la cavalerie qui nous conduisit; il fallut alors marcher aussi vite que les chevaux à travers les chemins coupés de tranchées, hérissés de travaux de défense, inondés de flaques d’eau; dans la terre délayée par la pluie, nous enfoncions jusqu’aux genoux; les robes et les jupons s’en allaient par lambeaux, les chaussures s’éculaient, se déchiraient ou restaient envasées dans les cloaques; aussi, à mi-chemin, une quantité de femmes étaient pieds nus. 
Nous étions couvertes de boue et de sang, les cheveux en désordre et les robes en loques, avec de l’eau qui ruisselait par toutes les coutures, par tous les plis, et chacun de s’écrier autour de nous :  “Mais sont-elles ignobles, ces femelles, ce ne sont pas des femmes, ce sont des monstres ! “

À la prison pour femmes ”Il y avait par terre une litière de paille que l'humidité fit bientôt fermenter. Des jours passaient. On grouillait là-dedans avec un bruit d'écrevisses, dans une odeur de sang, d'urine et de sueur, parmi des poux, des punaises et des cafards. Nous avions toutes la colique. Le médecin ne pouvait nous donner qu'un peu de laudanum. Un pain par jour, pas autre chose, et de l'eau sale dans un bidon, mais très peu, à peine ce qu'il nous fallait pour boire. La nuit, toutes les jambes étaient enchevêtrées si bien qu'il était impossible de dormir. Un gendarme nous procurait des vivres, et nous volait. Après une absence de quelques jours, il reparut. Dans l'intervalle, on l'avait décoré. Le temps passait. Toutes ces femmes étaient sans linge. Toutes celles qui étaient enceintes avaient fait des fausses couches. Vous voyez cela, des femmes en fausses couches gardées par des soldats ! 
Des femmes jeunes, belles, pleines de vie, sont venues là à vingt-cinq ans, qui en sont sorties quelques jours après avec les cheveux blancs et les germes morbides dans la poitrine.” 

Mais Joséphine Berger n’aura pas même eu cette chance… Elle meurt le 20 août 1871 à l’infirmerie de Satory, suite aux épouvantables conditions de détention. Elle n’a que 23 ans. 

> Illustrations, de haut en bas. Une crieuse de journaux illustration d’époque. Un convoi de prisonnières de la Commune en route pour Versailles. Le général Galliffet, caricature. Joséphine Bergé - État civil de Santranges - cliquer sur l’image pour l'agrandir.

> Le dossier de Joséphine Bergé se trouve aux Archives du Service historique de la Défense. 
On peut lire le témoignage d’Émilie Noro dans le blog de Michèle Audin en suivant
>>> ce lien. 
Et dans La Revue blanche “Enquête sur la Commune de Paris” Témoignage de madame Noro, page 171. 
Lire aussi Jules
Guesde, Le Livre rouge de la justice rurale, Genève, Blanchard (1871).

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