Un conseiller municipal de Bourges, monsieur Ludwig Speter-Lejeune (La République En Marche), veut débaptiser la rue Jean Baffier, à cause de son passé sulfureux, nous dit Le Berry Républicain du 13 décembre 2020.
À l’heure où tant de français galèrent, n’y a-t-il pas plus urgent que de débaptiser une rue de Bourges ? Par exemple aider les Restaurants du Cœur, le Secours Populaire, le Secours Catholique, qui peinent à faire face à l’afflux de chômeurs occasionné par la politique libérale et la gestion de l’épidémie ?
Certes Jean Baffier fut en son temps un antisémite alors que la France était divisée en deux camps : Dreyfusards et anti Dreyfusards. Il l’a dit, il l’a écrit et il faut s’en souvenir. Beaucoup d’artistes se montrent plus accomplis dans leurs œuvres que dans leur pensée politique ou dans leur morale, et Jean Baffier en fait partie, ce qui mérite d’être expliqué aux jeunes générations et rappelé aux autres….
Mais monsieur Ludwig Speter-Lejeune plein d’un zèle soudain, n’a probablement pas vu de sculptures de Jean Baffier, et s’il en a vu, il n’a sans doute pas réfléchi à leur signification et à leur message (je saisis l’occasion pour lui recommander d’aller au nouveau musée de Sancoins consacré au grand sculpteur).
Car Jean Baffier n’était pas un vulgaire tailleur de pierre, mais un créateur de grand talent qui mérite plus d’attention que ne lui en accorde ce conseiller municipal. Monsieur Speter-Lejeune est sans doute aveuglé par la notoriété facile qui associerait son nom au déboulonnement de la plaque du grand artiste…. Pleines d’humanité et d’empathie, les œuvres de Jean Baffier, outre leur beauté plastique, expriment à mes yeux le contraire des idées politiques de leur créateur. Le peuple, personnage central dans l'œuvre du sculpteur, lui a inspiré selon moi des oeuvres encore plus puissantes que ses sculptures monumentales. Les bronzes "le vigneron", "le faucheur", "le vielleux”, sont de remarquables représentations de l'humain, avec des corps dont on perçoit la respiration, marqués par l’effort, la fatigue et les rides du travail. Baffier n'est pas le seul à son époque à magnifier le peuple, il se rattache aux courants réalistes du 19e siècle, comme Millet et tant d’autres artistes, qui puisent leur inspiration dans les gestes des gens des campagnes ou des ouvriers. On résume un peu facilement cette démarche esthétique par le qualificatif réducteur de ”réaliste”, ou ”naturaliste”.
Le mouvement régionaliste folkloriste dont Baffier fut un acteur important en fondant la Société des Gâs du Berry, malgré un aspect conservateur, était aussi un courant qui voulait mettre en valeur la création populaire et affirmait fièrement son origine (”Nout' soup' est maigre mais j' la trempons dans nout' écuelle” disait-il). Frédéric Mistral, auteur de Mireille et d’un des premiers grands dictionnaire pour l’occitan, en a été l’un des plus importants représentants, mais il était anti Dreyfusard lui aussi.
Emporté par son vertueux enthousiasme, Ludwig Speter-Lejeune demandera-t-il que l’on débaptise les rues Frédéric Mistral et François Coppée, l’allée Edgar Degas, l’allée Auguste Rodin, la rue Paul Cézanne, la rue Auguste Renoir, la rue Henri de Toulouse Lautrec, à Bourges ? Pourtant ils furent eux aussi des anti Dreyfusards, comme Jean Baffier.
Le conseiller municipal atteint un nouveau sommet en se se disant choqué ”D’autant plus que cette rue n’est pas loin de l’hôtel de ville et du monument de la Résistance”. Pour celui qui fut professeur agrégé d’Histoire-Géographie, ce contre sens historique ne fait pas honneur à son diplôme….
N’en déplaise à monsieur Speter-Lejeune, l’immense talent artistique et l’authenticité de l'inspiration de Baffier qui dépassent la médiocrité de sa pensée politique, méritent bien que cette rue conserve son nom. À l’heure où la municipalité de Bourges réfléchit à sa politique culturelle, ce thème pourrait être prétexte à d’instructives sorties scolaires (mariant l’éveil à l’esthétique à l’Histoire de l’art et à l’Histoire tout court), au musée de Sancoins….