Ce mardi 7 novembre aux Archives départementales, l’amphithéâtre de cent soixante places n’avait probablement jamais connu telle affluence. On avait apporté des chaises dans les allées, et le tour de la salle et le hall étaient occupés par des dizaines de gens debout. “Les documents secrets des services allemands de propagande”, une conférence de Pascal Jardin, avait drainé une foule de plus de deux cents auditeurs !
Pascal Jardin a inventorié un fonds d’archives (dix neuf cartons contenant plusieurs milliers de documents) unique en France parce qu’il est “absolument complet”. Unique aussi parce que les services allemands de propagande ne laissaient rien derrière eux ; ils ont brûlé ou emporté toutes leurs archives au moment de la défaite des envahisseurs hitlériens.
En l’occurence, le mot “secrets” dans le titre de la conférence n’a pas été choisi pour racoler, il souligne le fait qu’une partie de ces documents étaient des notes internes destinées à la hiérarchie allemande ou aux employés de la propagande. C’est ainsi qu’on en a appris des vertes et des pas mûres, des appréciations cyniques, et des commentaires sans illusions quant à l’aversion permanente des berrichons contre les opresseurs allemands…
“Il n’y avait aucun espoir pour la France dans une Europe dominée par l’Allemagne, contrairement à ce que les collabos disaient. Les Allemands ne le faisaient croire que par intérêt, pour séduire, car pour eux les Français n'étaient pas des gens fiables”, résume Pascal Jardin.
L’examen des archives de la “Propaganda Abteilung” de Bourges par Pascal Jardin, a permis de rappeler que la propagande allemande contrôlait tout, à commencer par le gouvernement de Pétain. C’est le colonel Heinz Schmidtke, commandant au service presse interne du ministère du Reich à l'Éducation du peuple et à la Propagande, qui reçut l’ordre de mettre en place la “Propaganda-Abteilung Frankreich”, qui entra en fonction le 18 juillet 1940 et étendit immédiatement sa structure tentaculaire à toute la France.
À partir de ce jour, à Bourges, le préfet, et bien entendu la presse et les journalistes, mais aussi le cinéma, la chanson, le théâtre …jusque dans le plus modeste village et la plus banale association de pêcheurs de truite, sont contrôlés par ce service allemand. Pas question de publier ou d’imprimer n’importe quoi, d’employer un seul juif ou un communiste pour le moindre spectacle de chansons, la moindre représentation théâtrale, ou de jouer une de leurs œuvres ! Seule la presse de la collaboration et les journaux allemands sont autorisés à paraître. Les bibliothèques sont vidées des “mauvais” livres selon des listes établies par les autorités allemandes. La “Propaganda Abteilung” de Bourges était efficace, Pascal Jardin dénombre quatre cents mille documents distribués par le service de propagande en un an, de décembre 1942 à décembre 1943.
La presse collabore honteusement, “La Dépêche du Berry” en tête, tous les journaux locaux et les journalistes sont soumis à la censure. Ils reçoivent des “éléments de langage” : par exemple on n’écrit pas résistant, maquisard, FFI, FTP, mais toujours “terroriste”. L’invasion de l’URSS c’est pour protéger la France du “danger judéo bolchévique”. Le personnel du service de propagande est sommé de s’exprimer de façon habile pour mieux faire avaler la pilule.
Les tracts et brochures de propagande allemands sont présentés dans le style français et signés hypocritement de sigles a l’air français. On imprime aussi de faux tracts communistes.
Pour soutenir l’effort et la production des usines d’armement de la région qui travaillent pour l’Allemagne, la “Propaganda Abteilung” de Bourges crée un journal pour les ouvriers des entreprises qu’elle expédie aux adresses fournies par les employeurs.
Une cinquantaine de traîtres français locaux collaborent avec la “Propaganda Abteilung” (il y a même un curé de village parmi eux). Ils ont pour mission de rapporter ce qui se dit, de dénoncer les auteurs de propos anti-allemands, de répandre des arguments choisis favorables aux occupants. Ils sont rémunérés pour leur zèle servile, et ont la satisfaction de voir leurs victimes envoyées à la prison du Bordiot.
Malgré tous ces efforts de séduction et la menace de la répression, les notes internes de la “Propaganda Abteilung” font part de l’hostilité constante de la population berrichonne à l’égard de l’occupant. Parfois, les allemands découvrent avec stupeur que des histoires qui les ridiculisent circulent de bouche à oreille…. Il faut dire que la pauvreté, les rationnements et les coercitions, l’écoute de radio Londres, la propagande clandestine, ne leur facilitaient pas les choses.
Pascal Jardin, docteur ès lettres, agrégé d’allemand, nous a présenté une conférence passionnante et extrêmement documentée, dont toutes les informations provenaient de sa lecture des textes, fruit d’une année de recherche aux Archives départementales. Espérons qu’un livre détaillé suivra ce travail remarquable. Espérons que Pascal Jardin présentera à nouveau cette conférence, et peut-être de nouvelles….
Depuis la recherche dʼÉlisabeth Dunan intitulée “La Propaganda-Abteilung de France : tâches et organisation” parue en 1947, et peut-être à cause de la rareté des sources, aucune nouvelle étude approfondie n’avait eu lieu. Et ce travail était demeuré la seule base d’information durant soixante dix ans. C’est étonnant et regrettable. Espérons que Pascal Jardin fera des émules et que d’autres chercheurs fouilleront dans les archives allemandes de Bourges pour de nouveaux travaux et de nouvelles révélations, notamment dans le domaine de la Presse.
À l’heure où le souvenir s’estompe, où la désinformation et un certain révisionnisme historique véhiculés dans les médias, tendent à faire revivre le mythe du “bon soldat allemand” pour faire oublier le pillage de la France, la déportation, les camps d’extermination des juifs, le massacre de millions de civils en europe, cette conférence a eu le mérite de remettre les pendules à l’heure. Ajoutons que la description de cette énorme structure de propagande, l’étendue de ses ramifications, son travail systématique ne sont pas sans éveiller d'échos dans la tête des citoyens d’aujourd’hui…
En somme, le public qui a eu la chance d’assister à cet événement s’est enrichi des nouvelles connaissances que Pascal Jardin nous a fait partager. Ça méritait bien un coup de chapeau dans gilblog !
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> Lire dans gilblog : 1940/1944. Les documents secrets des services allemands de propagande dans le Cher. >>> Lien.