Parmi les espèces disparues, il n’y a pas que le diplodocus, le mammouth laineux sibérien ou le hérisson mordoré de Calédonie, il y a aussi les trésors introuvables des Templiers et ceux des Aztèques ; et puis les traditions populaires, les costumes régionaux …et les recettes de pâtisserie !
Stop, évitons les détours inutiles et abordons sans plus tarder l’enquête, menée par quelques berrichons au caractère bien trempé, sur un mystérieux gâteau dont Vierzon a connu autrefois le secret.
Tout commence par un message de Joël Simier à Michel Pinglaut. J’ai trouvé aux archives départementales en 1999, dit-il, la recette d'un gâteau typiquement Vierzonnais, mais, je n'ai rien noté, et à l'époque il n’était pas possible de faire une photo. Depuis je cherche désespérément, mais toujours pas de piste. Le nom de ce gâteau est peut-être ”anguillan”, as tu une idée sur l'origine du nom ?
> Intrigué, Michel Pinglaut répond à Joël. ”Dans le glossaire d’Hippolyte François Jaubert (au XIXe siècle), j'ai trouvé : aiguilan, petit gâteau de forme bizarre que les pâtissiers de Vierzon vendent pendant quelques jours aux environs de Noël. La recherche s’avérant peut-être plus aventureuse qu’il ne semble au premier abord, il envoie une copie du message à Mic Baudimant.
> Puis Michel Pinglaut élargit le cercle des enquêteurs et convie Daniel Anguera (un enseignant retraité en relation avec le milieu pâtissier), à l’investigation. Daniel lui répond qu’il y a encore à la Noël, quelques villes de l'Ouest où les enfants vont de maison en maison en clamant l'Aguilé. Leur besace ne tarde pas à s'emplir de beaux et bons gâteaux préparés à leur intention. Cet usage des gâteaux est fort répandu, et aucune des provinces de notre beau pays n'en a le monopole. Sous vingt noms différents on les retrouve: dans les apognes de Nevers, les cochenilles de Chartres, les bourrettes de Valognes, les cornabœux du Berry, les cogneux de Lorraine, les couigns de Bretagne, les aiguilans de Vierzon, les hôlais d'Argentan et les quénioles de la Flandre.
> De son côté, Mic Baudimant, déblayant les embûches qui se dressent sur la piste du gâteau énigmatique, invite Romain Personnat, historien, ethnographe et Thiaulin de Lignières, qui prépare la prochaine exposition au Château du Plaix.
Cette ruse de détective permet de révéler des traces anciennes mais pleines d’intérêt. Ce sont deux articles de la Dépêche du Berry des années 1923 et 1924 un peu couverts de poussière (bientôt un siècle, ça mérite qu’on s’incline respectueusement). En voici de larges extraits.
> La Dépêche du Berry. 31 décembre 1923. Une vieille coutume vierzonnaise du jour de l’an.
Une vieille coutume vierzonnaise (dont il n’a jamais encore été parlé) à laquelle les vieux Vierzonnais restent immuablement fidèles consiste dans la fabrication au jour de l’an d’une sorte de petit gâteau portant le nom de gibecière ou gibacière. Ce tout petit gâteau en pâte feuilletée, à l’instar de la galette berrichonne, représente une main fermée dont les deux doigts, index et majeur restent allongés.
Ce genre de gâteau, bien spécial à Vierzon, ne se fabrique qu’à Vierzon. Il ne se fabrique et ne se vend dans les pâtisseries qu’au jour de l’an. La coutume se retrouve à travers tous les siècles. On ignore l’étymologie du nom gibecière. Des érudits, comme messieurs Théodore Larchevêque et Gaucher se sont livrés vainement à toutes sortes de recherches à ce sujet.
Quoi qu’il en soit, le petit gâteau, long de trois à quatre centimètres continue de figurer sur toutes les tables des vieux Vierzonnais durant la journée de l’an neuf. Accompagné de liqueurs diverses, il est offert aux visiteurs, porteurs de vœux et de souhaits.
> Réponse dans La Dépêche du Berry en 1924. À propos de la gibacière.
Dans La Dépêche du 31 décembre, notre excellent collaborateur Parlas nous parlait d’une très vieille coutume vierzonnaise consistant dans la fabrication au jour de l’an d’une sorte de petit gâteau portant le nom de gibecière ou gibacière. (…) Et l’article se poursuit par les informations données par un pâtissier vierzonnais.
À cette époque, on on fabriquait pour le jour de l’an plus de 2000 douzaines de gibacières (…) Le gâteau représentait bien une main, mais le majeur était retourné sur le dos de la main alors que l’index et l’annulaire étaient accolés. Il est fort possible que pour la commodité de la fabrication, on ait depuis changé la coupe de la pâte. (…)
Passons à l’origine écrit le journaliste de La Dépêche. Un jour, vers la fin de l’année, un roi de France (était-ce Charles VII, Louis XI ou un autre ?) fit venir son chef pâtissier et lui demanda de lui présenter pour le jour de l’an un gâteau inédit.(…) Le chef apporta sur la table un magnifique gâteau d’une forme toute particulière. Son étrangeté charma le roi qui demanda des explications. Le pâtissier pour toute réponse montra sa main gauche au souverain : c’était elle qui avait servi de modèle, avec son majeur retourné et l’index collé à l’annulaire.
Chercheurs, cherchez donc dans les vieux grimoires et tâchez de repérer ce pâtissier de roi qui avait la main gauche difforme, main dont la reproduction en pâte feuilletée figure sur toutes les tables de Vierzon au Jour de l’An neuf.
> Instruit par les récentes méthodes télévisuelles de décryptage, Mic Baudimant se livre alors à un patient travail au terme duquel il se révèle que Gibacière veut dire estomac (gibecière ventrale ...humaine). Le conte du "Petit gibacier crevé" de Théodore Panis, père de Pierre Panis (dans les abords de la Marche, vers La Châtre, Sainte Sévère, Pouligny Notre Dame), nous le dit.
Et il ajoute : mais est-ce le lien avec le mystérieux gâteau de Vierzon ? La main du sceptre royal (l’index et l’annulaire dressés) rappellerait-elle la légende du Roi et du pâtissier ?
Et vous, lectrices et lecteurs de gilblog, pouvez vous témoigner ? Pouvez vous dissiper le brouillard qui entoure l'enquête ? Voulez vous rejoindre le club des détectives ? Savez vous quelque chose ? Avez vous vu des gibacières ? En avez vous mangé ? Connaissez vous la recette de l’insaisissable gâteau de Vierzon ?
L’enquête se poursuit…