La création d’une loi permettant l'action de groupe (une "class action" à la française), promise par le candidat Nicolas Sarkozy, vient de passer aux oubliettes par le gouvernement dans le cadre du projet de loi consommation qu’a présenté Frédéric Lefebvre (secrétaire d’État à la Consommation). "J'ai vu les dégâts que cela a pu faire dans les pays qui la pratiquent", a-t-il déclaré en affirmant qu'aux Etats-Unis elles auraient coûté "1,5 point du PIB". Comme d'habitude avec les exemples puisés à l'étranger, cette information n'est étayée par aucune démonstration documentée. C'est commode.
Action de groupe, class action, qu'est ce que c'est ? Définition de l’UFC-Que Choisir : "C’est une procédure par laquelle une personne ou une association prend seule l’initiative de saisir un juge pour le compte d’un groupe comprenant un nombre indéterminé d’individus concernés par un même litige. La personne ou l’association demande au juge de sanctionner le professionnel auteur du préjudice et de fixer le montant de l’indemnité que ce dernier devra verser à chaque membre du groupe". En d'autres termes, des consommateurs (c'est à dire des citoyens) qui s'estiment lésés par une entreprise pourraient ensemble saisir la justice et demander réparation.
Pour Laurence Parisot au nom du Medef (en juillet 2006) c'est une mauvaise chose, car "selon des études faites aux Etats-Unis, on estime que les class actions ont un impact négatif et qu'elles coûtent en moyenne un point de PIB par an" (Laurence Parisot aurait donc soufflé l'argument à l'oreille complaisante de Frédéric Lefebvre ?). Vous avez bien lu : le montant des pénalités et des remboursements dûs aux citoyens lésés aurait un "impact négatif" sur l'économie ! Et l'impact sur les victimes de ces abus, il est positif alors ? En réalité cet argument c'est le monde à l'envers, car ce point de PIB c'est justement le montant des pratiques commerciales abusives (ententes, malfaçons, pollutions ...etc) de certaines entreprises sans scrupules, au détriment des citoyens-consommateurs et par conséquent de l'économie (la vraie) ! Ce que Frédéric Lefebvre appelle abusivement l'économie, ce sont les recettes mal acquises des entreprises qui trichent. La langue de bois a encore frappé !
Un exemple significatif, EDF conserverait chaque année entre cinq et dix millions d'euros de trop-perçus sur les factures des abonnés, selon une enquête du journal Le Parisien. Une "broutille" dont les intéressés ne seront jamais remboursés ! Autre exemple : en 2005, Orange, SFR et Bouygues Telecom ont été condamnés pour "entente illicite". Le Conseil de la Concurrence leur a infligé une amende de 534 millions d’euros. Mais cette amende n’a pas pour objet d'indemniser les victimes ; l’UFC-Que Choisir estime à plusieurs milliards d’euros le montant de la fraude. Et, comme l'action de groupe n'existe pas encore dans le droit français, il est quasiment impossible pour les abonnés de demander réparation. En effet, chaque victime devrait porter plainte individuellement et assumer les frais d’une action en justice pour récupérer, après des mois ou des années de procédure, quelques dizaines d’euros. Résultat : malgré l’amende, les tricheurs-voleurs ont empoché plusieurs centaines de millions au détriment de leurs clients !
Voila le genre de pratiques que protège la petite phrase hypocrite en langue de bois du secrétaire d’État à la Consommation ! Et ça n'est pas tout...
"Les associations pour l'environnement se font entuber en douce" proclame Corinne Lepage dans un article du 19 juillet. Un décret du 13 juillet fixe les modalités d'application au niveau national de la condition prévue dans le code de l'environnement concernant les associations souhaitant participer au débat sur l'environnement dans le cadre de certaines instances.
"Pour pouvoir participer, une association devra désormais compter au moins 2 000 adhérents. Quant aux associations d'utilité publique, elles devraient exercer leur action sur la moitié des régions au moins, et disposer d'un minimum de 5 000 donateurs, pour pouvoir se faire entendre. Les seuls organismes ayant le droit de le faire entendre leur voix sur les politiques environnementales sont des organismes publics au sein desquels seules ces grandes associations ont le droit d'être représentées.
De plus, l'Etat s'octroie le droit de vérifier les conditions de financement des associations pour s'assurer 'de leur indépendance". Autrement dit, non seulement aucun texte de protection des lanceurs d'alerte n'a jamais été pris par ce gouvernement, du temps de monsieur Borloo comme a fortiori du temps de madame Kosciuzko-Morizet, mais plus encore, c'est la capacité des associations les plus dérangeantes pour les lobbies défendus par le gouvernement qui est ici mise en cause. En effet, sans agrément, la capacité de porter plainte avec constitution de partie civile reste très réduite. Dans ces conditions, les procès mettant en cause ces lobbies deviennent beaucoup plus difficiles. De même, Mouvement des générations futures, Criirad, Criigen, Réseau santé environnement, Inf'OGM, et d'autres – n'auront plus le droit de participer, ni d'être agréés. De la même manière, le fait que les agréments soient conditionnés par le nombre de personnes rendra très difficile la tâche des associations locales, constituées contre tel ou tel projet, telle ou telle infrastructure. Les préfets pourront toujours soutenir qu'elles ne remplissent pas les conditions".
Ainsi dans ces conditions il deviendrait impossible dans le Cher, dans le cadre associatif actuel, de lancer une action contre l'épandage des boues du Siaap : pour la Préfecture elle serait illégale !
Et puis souvenez vous, Michèle Alliot-Marie, au moyen d'une circulaire du 12 février 2010, réactivait une loi tombée en désuétude depuis 1977 (infraction sur la discrimination économique - incroyable dans une démocratie !). Elle prétendait interdire l’un des moyens les plus anciens de la contestation par les citoyens : le boycott.
Actions de groupe rendues impossibles, limitation des moyens de associations environnementales, limitation des libertés. Comme Corinne Lepage, on ne peut que constater cette nouvelle preuve que le gouvernement de Nicolas Sarkozy s'attaque avec force aux associations, ces modestes contre-pouvoirs dont notre pays dispose encore. ...Et les associations, ce sont les citoyens.
"Quand il y a une manifestation en France, personne ne s'en aperçoit" ironisait Sarkozy la première année de son mandat, avant que le grand mouvement contre la "réforme" des retraites ne lui cloue le bec. Manifestement, il n'a pas désarmé et veut empêcher toute forme d'expression des citoyens. Combien de temps encore faudra-t-il tolérer ça ?
Décidément, en France, comme en Espagne, en Tunisie, au Portugal et en Grèce, nous avons de quoi nous indigner. Dommage, ça ne s'entend pas encore assez fort...
> CyberActeurs vous appelle à signer une pétition en ligne sur son site : http://www.cyberacteurs.org/cyberactions/presentation.php?id=345
> Sources. Actu-environnement : http://www.actu-environnement.com/ae/news/decret-agrement-associations-fondations-13106.php4
Corinne Lepage sur Rue89 : http://www.rue89.com/corinne-lepage/2011/07/19/les-assos-pour-lenvironnement-se-font-entuber-en-douce-214879
Gilblog : http://www.gilblog.fr/vu_sur_le_web/le-boycott-est-il-illegal.html