Comme les giboulées de mars ou la rentrée des classes, comme les feuilles d’impôts ou les achats de Noël, les rebondissements du feuilleton du camembert de Normandie viennent régulièrement faire l’actualité. À tel point que c’est devenu un marronnier. Ça serait risible si cette affaire n’était pas la lutte du pot de terre contre le pot de fer, du riche contre le modeste, du consommateur et de l’artisan contre l’industrie alimentaire, du triomphe ou de la défaite de la malbouffe.
C’est pour ces raisons que gilblog a publié de nombreuses pages sur le sujet depuis 2008.
Après vingt années de conflit, on croyait l’affaire terminée. Annoncée comme prête à décoller il y a deux ans par les professionnels du camembert, la fusée de la “grande AOP Normande“ a fait pschit le 29 janvier 2020.
On croyait voir la fin de plus de vingt ans de la concurrence déloyale (et illégale !) des fromages étiquetés “fabriqué en Normandie” qui ne respectent aucun des critères de l’appellation (à part l’implantation de leurs usines dans la région).
Pire, l’usage par les industriels de la formule illégale, “camembert fabriqué en Normandie”, est interdite par une directive européenne de 1992 parce qu’elle trompe l’acheteur en lui faisant croire que les fromages ainsi étiquetés sont normands alors qu’il ne le sont pas.
Cette décision brise l’accord de paix établi en 2018 qui voulait réunir sous une dénomination commune les camemberts artisanaux (AOP de Normandie, au lait cru moulé à la louche issu d’un cheptel majoritairement normand), et ceux, industriels, au lait pasteurisé venant principalement d'ailleurs. Le projet d’accord, conçu en février 2018 sous le contrôle de l’Institut national des appellations et origines (INAO), devait accorder à partir de 2021 la dénomination unique “camembert AOP de Normandie” à tous les fromages (y compris ceux au lait pasteurisé), à condition qu’ils soient fabriqués dans une zone géographique bien délimitée en Normandie. En échange, les producteurs et industriels laitiers, comme Lactalis, acceptaient un renforcement des contraintes sur la qualité du lait, qui devait provenir d’une forte proportion de vaches normandes élevées en Normandie.
Mais c’était compter sans la duplicité des industriels qui ont fait semblant d’accepter le nouveau cahier des charges. Puis le groupe Lactalis et ses complices ont refusé au dernier moment de voter l’accord sur l’appellation d’origine.
Ce coup de théâtre n’est peut-être pas une si mauvaise nouvelle, il console un peu ceux qui veulent éviter le naufrage complet de la petite filière du camembert AOP normand. Car mieux qu’un compromis boiteux, il existe une solution bien simple et de bon sens : obliger les industriels à retirer la mention “fabriqué en Normandie” de leurs étiquettes, conformément au décret européen UE 2081/92 qui réserve la protection de l’origine aux produits sous AOP.
Mais, jusqu’à présent, ni les pouvoirs publics, ni l’Institut national de l'origine et de la qualité (Inao), pourtant gardien du règlement, n’ont levé le petit doigt pour faire appliquer la loi. La puissance et les intérêts économiques du lobby des industries laitières feront-ils longtemps pencher la balance du mauvais côté ?
Dans un communiqué, l’ODG camembert de Normandie, qui “appelle à la poursuite des discussions incluant l’Inao, pour trouver une solution”, n’évoque l’application de la loi que comme un dernier recours.
En attendant, les consommateurs continuent à être lésés en achetant des produits aux faux airs de terroir, au lieu d’authentiques camemberts normands.
Dans l’hebdomadaire Marianne, Périco Légasse conclut avec vigueur. Le président de l’ODG camembert de Normandie doit exiger l’application de la loi et faire sanctionner l’usage du Fabriqué en Normandie. Au comité national de l’INAO de prendre ses responsabilités et de faire cesser un scandale qui n’a que trop duré. Au ministre de l’Agriculture et à celui de l’Economie, patrons de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes), de faire appliquer strictement la réglementation et de prouver au monde paysan, aux citoyens consommateurs et, plus largement, à l’opinion, que la République ne se laisse pas dicter sa conduite par les lobbies et défend l’honneur de notre patrimoine agricole.
> Sources. Marianne. Que choisir. 20 minutes.
> Lire dans gilblog.
Camemberts, les faux et les vrais. >>> Lien.
Victoire ou défaite pour le vrai camembert de Normandie ? >>> Lien.
Faux Camemberts : la mention"fabriqué en Normandie" toujours autorisée ! >>> Lien.
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Le gang du faux camembert a la vie dure. >>> Lien.
Camembert de Normandie, vers la victoire du bon goût et du bon droit ? >>> Lien.