Camembert de Normandie AOP (Appellation d’Origine Protégée) ou faux camembert fabriqué en Normandie ? Après dix ans de controverse sur l'appellation du camembert, les producteurs de lait normands et tous ceux produisant des camemberts dans la région (artisans, industriels, producteurs, fromageries...) sont parvenus à un accord, annonce l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), le 22 février.
Aux termes des discussions menées par un groupe de travail mis en place par l'INAO, "les producteurs de lait et de fromages de camembert fabriqués en Normandie ont accepté de respecter le futur cahier des charges de l’AOP camembert de Normandie", déclare l'INAO dans un communiqué. En 2021, ceux qui sont majoritairement de gros industriels se soumettront à des règles beaucoup plus strictes que les règles actuelles.
Jusqu’à cet accord, les camemberts de Normandie AOP devaient respecter un cahier des charges strict comprenant notamment l'obligation d'avoir un camembert fabriqué avec du lait cru provenant à 50% de vaches normandes sur une aire géographique précise (Calvados, Manche, Orne, et Eure). Ce que refusaient Lactalis et les autres industriels qui s’obstinaient à vendre de faux camemberts…
En effet, le camembert fabriqué en Normandie n'avait aucune contrainte sur la provenance des vaches produisant le lait ainsi que leur race (le lait pouvait être acheté n’importe où en France ou à l’étranger !). Et les industriels utilisaient du lait pasteurisé !
…Lait pasteurisé qu'ils vont pouvoir continuer à utiliser puisqu'à l'occasion de cet accord, les détenteurs de l'AOP ont accepté en contrepartie de l'uniformisation de l'appellation que le camembert de Normandie puisse être fabriqué avec un tel lait.
Mais, pour le chroniqueur gastronomique et défenseur du véritable camembert Périco Légasse, c’est une énorme défaite pour le camp industriel, même si cet accord a l'apparence d'un compromis. Périco Légasse, écrit notamment :
“Les tenants du "Fabriqué en Normandie", cette forfaiture légale et morale qui n'avait que trop tardé à disparaître, mordent la poussière. Ils ont certes la possibilité de fabriquer des camemberts sous appellation d'origine avec du lait pasteurisé, mais provenant exclusivement des cinq départements normands (ce qui n’était pas le cas jusque-là), payé au prix juste aux éleveurs et issu d'un troupeau composé au minimum de 30% de vaches de race normande.
Quant à la dénomination "Véritable camembert de Normandie" qui désigne désormais les camemberts au lait cru, elle est beaucoup plus aisée à distinguer et à valoriser grâce à une dénomination ayant le mérite de la clarté. Il sera dorénavant très facile aux prescripteurs et aux communicants d'indiquer quel est le "vrai" camembert de Normandie puisque cela figurera en bonne place sur l'étiquette. Le fait de préciser “véritable” implique en effet que l’autre ne l’est pas. Les amateurs eux, en tout cas, ne pourront plus se tromper”.
Donc, il n’y aura désormais qu’une seule appellation “Camembert de Normandie AOP”, mais les étiquettes de camemberts au lait cru mentionneront "Véritable camembert de Normandie”, pour se distinguer aux yeux des consommateurs (une version plus haut de gamme, strictement au lait cru).
> Mais d’autres ne sont pas de cet avis. Pour Véronique Richez-Lerouge, présidente de l'Association Fromages de Terroirs, interviewée dans l’Express (extraits) : “Le camembert de Normandie AOP va autoriser la pasteurisation, c’est un renoncement aux valeurs de l’appellation et une victoire de Lactalis”! Et Véronique Richez-Lerouge y voit un danger mortel pour ce fromage emblématique de l'art de vivre à la française. “Ce dont rêvait Lactalis, lui est offert sur un plateau d’argent : la possibilité de fabriquer un camembert industriel au lait pasteurisé dans le cadre de l'appellation. On fera donc du camembert AOP pasteurisé de Normandie en grand volume au prétexte que faire du lait cru, c'est compliqué, c'est coûteux et que les éleveurs n'y arrivent pas et que les normes sont trop strictes." La réalité, c'est qu'on a donné les clés de l'AOP à Lactalis, dit elle !
Et d’ajouter : “Mais comment le consommateur va-t-il s'y retrouver entre AOP et AOP ? Elle sera pour qui ? Dans la grande distribution, qui représente 95% des ventes, un seul camembert AOP sera référencé, le moins cher, le pasteurisé. C'est une stratégie pour isoler et étouffer l'authentique camembert !”
Alors est-ce “une “montée en gamme pour tout le monde”, comme le dit l’INAO ?. Ou à moyen terme la disparition du camembert au lait cru moulé à la louche AOP tel qu'on l'a connu, et un nivellement par le bas ?
> Pour Périco Légasse : “Même pasteurisé, le “camembert de Normandie” reste au lait normand et consolide la normandisation du cheptel, point essentiel du sursaut qualitatif auquel ont droit les paysans méritants de la première région agricole de France. Enfin, et c'est le deuxième point déterminant, les éleveurs qui fourniront leur lait aux fabricants de camembert pourront enfin vivre de leur travail grâce à une tarification augmentée”.
> Ces progrès valent-ils la concession de la pasteurisation aux marchands de plâtre (comme les appelle Légasse) ? La fabrication industrielle à la chaîne, des Président, Lanquetot, Lepetit, Coeur de Lion, le Rustique (à éviter), aura-t-elle raison du moulage à la louche manuel qui est la signature du camembert ? Ce compromis est-il le point final d’une lutte du pot de terre contre le pot de fer ? Est-ce une nouvelle ruse des services marketing de l’industrie agro-alimentaire ? Les consommateurs seront-ils plus nombreux à vouloir plus de qualité et à choisir le véritable camembert ? Est-ce la fin des produits authentiques et une nouvelle entourloupe de la malbouffe ? Autant de questions qui n’ont pas encore de réponse aujourd’hui….
> Sources : Marianne. Périco Légasse Victoire pour le camembert : la formule "fabriqué en Normandie" enfin interdite. >>> Lien.
L’Express. Véronique Richez-Lerouge. La mort programmée du véritable camembert de Normandie ? >>> Lien.
Lire : Véronique Richez-Lerouge,"AOP, main basse sur les fromages" (éditions Erick Bonnier, 2017).