Le 26 août dernier l’hebdomadaire Le Point publie un communiqué, le même communiqué est reproduit dans des dizaines de journaux, radios et télévisions. En voici des extraits :
“La société Fromagerie de la Dombes a procédé au rappel d'environ 300 fromages, après qu'un contrôle microbiologique a montré la présence "à des taux importants" de la bactérie Listeria monocytogènes dans certains de ces produits, a annoncé mardi la préfecture de l'Ain. Les produits concernés sont les fromages Perle des étangs et Brique des étangs (suivent les numéros de lots). Ils ont été distribués dans des magasins de 10 départements du sud de la France, indique le communiqué préfectoral. La listeria est responsable de la listériose, une grave maladie infectieuse dont le délai d'incubation peut aller jusqu'à huit semaines et qui affecte surtout des catégories dites sensibles: femmes enceintes, personnes immunodéprimées, personnes âgées et nouveaux nés”, ajoute le même communiqué.
Précisons que les deux fromages incriminés sont fabriqués avec du lait thermisé, c’est à dire chauffé à 58 degrés afin d’aseptiser le lait, alléger le nombre et le coût des contrôles, et permettre une plus longue conservation des fromages dans les rayons des magasins de la grande distribution.
Le 4 septembre, environ 5.000 fromages (des Livarot) fabriqués par la Fromagerie de Boissey et distribués dans toute la France, ont été rappelés après l'identification de la bactérie Listeria dans l'un de ces fromages*, a indiqué jeudi un porte-parole de la fromagerie. * (Je précise : au lait thermisé.)
Étonnamment les communiqués n’indiquent pas que les fromages sont au lait thermisé.
Étonnamment aussi, les journaux et les médias qui ont diffusés les communiqué ne se sont pas posé la question, semble-t-il. Mais qu’est-ce que c’est que cette presse qui se borne à recopier les communiqués, les “dossiers de presse” tout prêts, les dépêches d’agences, qui ne vérifie pas les informations qu’elle diffuse, qui n’a pas la volonté d’informer ses lecteurs ?
Dans Marianne, le talentueux journaliste gastronomique Périco Légasse s’indigne. “Rappelons simplement que depuis vingt ans la plupart des cas de contamination par des produits laitiers portaient sur des fromages industriels parce que, ne nous lassons pas de le répéter, le lait cru est porteur d’anticorps naturels censés le protéger contre un facteur pathogène, et que la thermisation, en tuant tout, élimine aussi cette défense naturelle. Une vérité qui a du mal à fermenter dans la tête des industriels laitiers, de certains préfets et de pas mal de journalistes”. Il semble qu’une certaine presse relaie complaisamment le discours des industriels du fromage qui prétendent “vouloir éviter le risque d’empoisonner les consommateurs avec des produits élaborés avec du lait cru”, comme le prétend le directeur de communication de Lactalis . Et bien c’est faux, “l’Inao, l’Affsa, le ministre de l’agriculture, lui ont donné tort et le camembert normand AOC est demeuré à la température du pis de la vache”, poursuit Périco Légasse.
En effet, ajoute Laurent Feneau dans La cuisine collective “tous les artisans fromagers et autres affineurs savent depuis longtemps que le fromage au lait cru n'est pas plus dangereux que celui au lait pasteurisé. Au contraire, il faut savoir que si les bactéries coliformes contenues généralement dans les fromages au lait cru se neutralisent entre elles, les " listéria " qui résistent à la pasteurisation sont encore plus virulentes que les autres… Par ailleurs, chacun sait dans la profession que la thermisation ou la pasteurisation ne garantissent pas le risque zéro. Seuls les contrôles très fiables et réalisés en amont permettent de détecter la présence de bactéries pathogènes éventuelles. Enfin, renseignement pris auprès de scientifiques spécialisés, le lait cru est le meilleur rempart contre le développement de bactéries hostiles. Les dernières recherches menées par Xavier Bertrand (microbiologiste), et Dominique Angèle Vuitton (immunologiste), montrent par exemple que les ferments lactiques contenus dans le lait cru permettraient de reconstituer la flore intestinale après la prise d'antibiotique ; mieux, ils agiraient contre certaines allergies alimentaires !”
La presse et la télévision tirent une grosse partie de leurs recettes de la publicité des laiteries industrielles dont les spécialités fromagères sont toutes élaborées avec des laits pasteurisés, thermisés ou microfiltrés, quand ce ne sont pas de pâtes cuites. Vous les connaissez....
Fromagerie Bel : Apéricube, Babybel, Bonbel, Cantadou, Cousteron, Karicka, Kaukauna, Kiri, Leerdammer, Terra Nostra, Toastinette, Wispride, Sylfide, Syrokrem, La vache qui rit, Limiano, Maredsous, Picon, Pik et Croq, Samos 99, Karper, Port-Salut.
Groupe Bongrain : Boursault, Brebiou, Bresse Bleu, Caprice des dieux, Carré Frais, Chamois d'Or, Chaumes, Chavroux, Cœur de Lion, Elle & Vire, Etorki, Fol Epi, Galax, Kidiboo, Le Vieux Pané, Ligne & Plaisir, P'Tit Louis, Rambol, Saint Agur, Saint Albray, St Moret, Tartare.
Groupe Lactalis : Galbani, Chaussée aux moines, Lanquetot, Lepetit, Président, Rondelé, Salakis, Société.
Bel. Chiffre d’affaires 1,9 milliards d'euros en 2007 (+10,6 %), 11 000 salariés, résultat net 95,2 millions d'euros (+19,9 %).
Bongrain. Chiffre d’affaires 3,4 milliards d'euros en 2007 (+8,4 %), 18 500 salariés, résultat net 161,7 millions d'euros (+44,2 %).
Lactalis. Chiffre d’affaires 9,5 milliards d'euros en 2007 (+32 %), 34 500 salariés.
À la lecture de cette énumération, on comprend que les conseils d’administration des médias incitent leurs rédactions à ne pas indisposer les grandes marques par des articles critiques. On comprend aussi pourquoi le public se détourne de ces médias ...à juste titre.
Pour en lire plus : Marianne No 594, page 96.
http://www.la-cuisine-collective.fr/dossier/divers/articles.asp?id=151
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fromage
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cartographie_des_marques_par_secteur#Fromage