“L’organisation du travail microbien dans les fromages” par Marie-Christine Montel, directrice de recherches à l’Inra.
Je suis toujours étonnée du fait que l’immense diversité des fromages est fondamentalement l’œuvre de microbes. Nous le savons depuis les travaux d’Emile Duclaux, disciple de Pasteur, menés dans les années 1880, précisément dans le Cantal, où l’Inra vient d’inaugurer un laboratoire dans l’unité que je dirige. Mais la vie microbienne qui élabore ces produits est loin d’avoir livré tous ses secrets.
Le fromage est un écosystème peuplé de bactéries, de levures de champignons qui vivent là comme en société, chacun faisant un travail spécifique, l’ensemble vivant dans un équilibre fragile, entre compétition et coopération. Certains se nourrissent des constituants biochimiques du lait. D’autres vivent des productions microbiennes. Le fromage est ainsi le fruit de la digestion réalisée par les microbes qui s’invitent à la table du lait. Et ils sont nombreux ! Nous avons décrit plus de 200 espèces dans les fromages : les bactéries qui transforment le lactose - les ferments lactiques - et qui vont très vite ; celles qui dégradent les acides aminés et les acides gras, très impliquées dans les arômes et qui prennent leur temps. Certains microbes vivent dans la pâte, d’autres dans la croûte, en interaction avec l’environnement, lequel est très important. Les équilibres entre flores microbiennes résultent de tout un système complexe, variant d’une ferme voire d’un animal à l’autre, des conditions de production, d’une région et d’une cave à l’autre.
J’essaie donc, avec mon équipe, d’identifier les micro-organismes présents dans un fromage de ferme comme le Salers ou le Saint-Nectaire en utilisant à la fois la méthode classique de culture in vitro de prélèvements et la technique moderne de séquençage de tout l’ADN microbien présent dans le fromage. Il s’agit ensuite de comprendre qui fait quoi et quand. Un exemple : récemment, nous avons identifié sur des fromages de chèvre des bactéries connues des milieux marins. Mais qu’est-ce que le fromage de chèvre leur doit ?
Ces connaissances permettent aussi d’aider les fermiers à maîtriser la qualité sanitaire de leurs fromages qui, normalement, s’autodéfendent contre la prolifération de bactéries pathogènes. En collaboration avec d’autres équipes de l’Inra, nous tentons également de trouver des marqueurs permettant d’identifier les modes de productions à l’œuvre dans les fromages AOC. La recherche de certaines molécules nous permet en effet de savoir si la vache a été alimentée à l’herbe ou au maïs. Nos travaux intéressent bien sûr l’industrie, toujours à la recherche de nouvelles souches pour enrichir son offre. Mais je ne crois pas que nous arriverons à reformuler les recettes des fromages fermiers. Les microbes qui interviennent sont bien trop nombreux pour que nous les mettions au travail sur une chaîne industrielle.
Recueilli par Corinne Bensimon. Libération du mardi 2 septembre 2008.
«L’organisation du travail microbien dans les fromages»
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