Se souvenir de Charonne.

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Anniversaire du “massacre de Charonne” le 8 février 1962 à Paris : 9 morts et plus de 250 blessés. En pleine guerre d’Algérie, après 8 ans de violences, des milliers de citoyens bravent pacifiquement l’état d’urgence avec les slogan ”Paix en Algérie !” et “Non à l’OAS !”. Cette importante manifestation populaire fait suite à une série d'attentats terroristes de l’Organisation armée secrète (OAS), opposée à l’indépendance de l’Algérie. La veille, un des attentats à l’explosif de l’organisation factieuse avait défiguré une fillette de 4 ans. 

La manifestation était partie de la place de la République en direction de la place de la Nation. J’étais à quelques mètres du début du cortège à ce moment là, près du carrefour de la rue de Charonne, du boulevard Voltaire et de l’entrée du métro. Devant un bataillon de gardes mobiles et de policiers casqués formant un mur sur le boulevard, la marche s’arrête et l’ordre de dispersion est donné. Mais la police (alors sous l’autorité du préfet Maurice Papon, de sinistre mémoire), attaque sans sommation les manifestants à coups de “bidule”, une grande matraque qui ressemble à un manche de pioche. Devant la charge, la foule reflue dans le boulevard Voltaire, et je me retrouve avec quelques uns sur le trottoir alors que les gardes mobiles accourent sur nous. Je m’accroupis dans l’encoignure d’un porche en me protégeant la tête de mes mains. J’entends les pas lourds d’un policier qui hurle “attends petit salaud, tu vas voir !”, je reçois un coup violent sur le crâne et je perds connaissance. Je me réveille, j’ai mal, je saigne, et j’entends des policiers crier “bougez pas, on va s’occuper de vous”. Mais la porte de l’immeuble s’ouvre et des gens secourables me font entrer à l’abri. Au premier étage je suis accueilli dans le cabinet d’un dentiste avec d’autres blessés, on nous prodigue les premiers soins. Plus tard, des voitures nous emmènent à la clinique des Bleuets où l’on me fait plusieurs points de suture….

D’autres moins chanceux que moi ont été matraqués à mort, d’autres se sont précipités dans l’entrée du métro. Mais la station étant fermée, ils se sont entassés dans l’escalier et certains sont morts étouffés contre les portes closes. Pourquoi la police a-t-elle jeté sur eux les grilles de fonte qui entourent les arbres du boulevard ? Pourquoi des hommes censés protéger la population se sont-ils acharnés avec férocité sur des citoyens venus manifester pour la paix en Algérie et contre les attentats de l’OAS ? 

ObséquesCharonne1962 daniel-fery

Le 13 février 1962, pour les obsèques des victimes, une foule immense parcourt le boulevard du Temple, la place de la République, l’avenue de la République et le boulevard de Ménilmontant jusqu’au cimetière du Père Lachaise où elles sont inhumées près du mur des Fédérés. 

Soixante ans après le drame du 8 février 1962, le président de la République (qui a été le premier à participer à une cérémonie dédiée aux massacres de centaines de travailleurs algériens le 17 octobre 1961), n’a pu faire de même, puisqu’il était en déplacement en Russie et en Ukraine. Cependant Emmanuel Macron a rendu “hommage à la mémoire des victimes et de leurs familles” dans un laconique communiqué de presse. Aucun membre du gouvernement n’a participé aux cérémonies, mais une gerbe a été déposée par le préfet Lallemant lors d’une cérémonie au cimetière du Père Lachaise (ironie de l’Histoire, Lallemant est celui qui ordonnait récemment la répression contre les gilets jaunes). C’est un premier pas, mais la France va-t-elle enfin reconnaître la responsabilité de l’État dans la tuerie de Charonne? Ou bien va-t-elle de nouveau botter en touche, comme l’a fait Emmanuel Macron le 17 octobre 2021 au sujet de l’assassinat des algériens, dédouanant au passage les plus hauts responsables de l’époque. Mais le préfet Papon n’était pas le seul décideur, citons le président de la République, Charles de Gaulle, le premier ministre, Michel Debré, et le ministre de l’Intérieur, Roger Frey. Pourtant ce sont bien eux qui ont donné les ordres de réprimer brutalement les manifes­tations d’octobre 1961 et de février 1962.

Mardi 8 février, des gerbes ont été déposées sous la plaque commémorative du métro où sont inscrits les noms des victimes. Cette cérémonie organisée par le comité "Vérité et justice pour Charonne", s’est déroulée à l'occasion du 30e anniversaire de la répression de la manifestation. À cette occasion, les associations et syndicats réclament la reconnaissance d'un "crime d’État”. Henri Cukierman, président de "Vérité et justice pour Charonne", a salué la première prise de position d'un président mais déploré que "la responsabilité de l'État soit tue”. "Ce n’est pas le préfet Papon qui est responsable du 17 octobre ou du 8 février ou de toute brutalité, c’est l'État", a-t-il déclaré. Henri Cukierman, jeune participant à la manifestation soixante ans plus tôt, a de nouveau demandé la vérité et que justice soit faite pour ces deux crimes de 1961 et 1962, malgré une "une loi d'amnistie de l'époque qui a permis d'éviter que la justice puisse faire son travail”.

“Ils sont pas lourds, en février / À se souvenir de Charonne / Des matraqueurs asser­mentés / Qui fignolèrent leur besogne”, a dit Renaud dans une de ses chansons

> Photos de haut en bas. Après la manifestation. Charge des gardes mobiles.Foule aux obsèques des victimes. Obsèques des victimes photo de Daniel Fery.  Plaque commémorative au métro Charonne.

> Sources : France Culture. Le massacre de Charonne en 1962, ils s'en souviennent. >>> Lien. 
La Croix. Métro Charonne : Macron rend hommage aux victimes, une première pour un président.
>>> Lien.


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